Oser penser pour être irremplaçable

Nous sommes irremplaçables. Or, nous l’ignorons trop souvent, pris que nous sommes dans les rets du pouvoir. Irremplaçables nous le sommes dès lors que nous nous affirmons comme sujets, comme individus dans les actes de la vie, en toutes circonstances. En prendre conscience est sans doute plus nécessaire que jamais quand on cherche, sous différentes formes, dans la cité ou dans l’entreprise, à nous rendre toujours plus « remplaçables » pour affirmer un pouvoir et nous maintenir dans un état de minorité, de « collaboration ».

C’est vrai avec un pouvoir politique qui ne craint rien tant qu’une trop forte expression de l’individu-citoyen là où l’Etat de droit devrait s’appuyer sur lui. C’est vrai dans un monde du travail qui sanctifie le chiffre, le nombre et le statut de collaborateur pour éviter l’irruption de l’individu-acteur là où son autonomie pourrait être gage d’innovation et de création. De ce constat en tension, la philosophe Cynthia Fleury nous propose avec son livre Les Irremplaçables (Gallimard, 2015) une belle réflexion sur la force irréductible de « l’individuation » (à ne pas confondre avec l’individualisme). Etre un sujet libre, voilà l’éternelle question. Il n’y a au fond rien de plus indispensable à la fois pour chacun, mais aussi collectivement pour la liberté et la démocratie.

Cynthia Fleury, qui avait reçu le prix Afci en 2010 pour son livre La fin du courage, poursuit là une recherche au carrefour de la psychanalyse et de la philosophie politique. Son propos met en relation les conflits que vit l’individu pour continuer à être irremplaçable et les pathologies de la démocratie quand elle sacrifie la liberté de chacun et de tous au profit de pouvoirs confisqués. Cette double quête qui fait se rencontrer au bout du compte les intérêts de l’individu et ceux de la société nous conduit à revisiter quelques conditions pour continuer à être irremplaçables. Avoir le souci de soi, faire toute sa place à l’imaginaire social, savoir le prix de la douleur, mettre à distance par l’humour sont pour Cynthia Fleury quelques-unes des voies d’individuation indispensables face aux passions dévorantes du pouvoir.

En vérité, il n’y a pas, il n’y a jamais de fatalité qui nous conditionnerait à la servitude. Rappelons-nous les propos du philosophe allemand Kant à propos des Lumières. « Qu’est-ce que les Lumières ? La sortie de l’homme de sa minorité dont il est lui-même responsable. Minorité, c’est-à-dire incapacité de se servir de son entendement (pouvoir de penser) sans la direction d’autrui, minorité dont il est lui-même responsable (faute) puisque la cause en réside non dans un défaut de l’entendement mais dans un manque de décision et de courage de s’en servir sans la direction d’autrui. Sapere aude ! ( Ose penser !). Aie le courage de te servir de ton propre entendement. Voilà la devise des Lumières ». Oser penser pour ne pas être dominé. Oser penser pour être libre. Oser penser pour être irremplaçable… Dans les temps difficiles que nous connaissons, voilà de quoi aider à comprendre -et pourquoi pas à surmonter- les tourments de soi et les dysfonctionnement de la démocratie. Pas simple, mais tout simplement nécessaire.

Cette critique du livre de Cynthia Fleury est parue dans Les Cahiers de la communication interne, décembre 2015

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2 réflexions sur “Oser penser pour être irremplaçable

  1. françoise benassis 19 février 2016 / 21 h 53 min

    Papier très intéressant, oser penser : un principe à vie. Bravo pour ce balisage rapide et… dense !

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  2. laconde 20 avril 2016 / 20 h 03 min

    merci pour ce papier Jean Marie

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