Un des apports majeurs de l’ergonomie est d’avoir mis en évidence l’écart dans le travail entre le prescrit et le réel. On observe que dans le travail ça ne se passe jamais comme on l’avait pensé au départ. Il y a toujours une certaine résistance du réel qui emprunte des chemins de traverse par rapport à la prescription. Dans la communication d’entreprise aussi, le prescrit a vocation à encadrer, à maîtriser. Mais le réel résiste à une volonté de toute puissance. Communication prescrite et communication réelle, entre les deux se déploie l’espace de la communication dans l’entreprise.
Le prescrit en communication a pris des formes multiples et sophistiquées. Des formes qui empruntent tantôt au symbolique tantôt au contenu. Cela va du logo au projet d’entreprise, de la couleur aux valeurs édictées, de la charte graphique aux éléments de langage. Sans parler de toute l’information verticalement diffusée sur les objectifs, la stratégie, les résultats. Entre image et contenus, toute une gamme prescrite fait l’objet d’une élaboration et d’une diffusion multi canale et multi supports par des communicants en charge de ce cadre, qui a vocation à être un cadre de cohérence.
Le réel, c’est une communication partagée et distribuée entre tous les acteurs de l’entreprise. Et ça commence dans le travail par les échanges au quotidien. On s’échange des informations, on se parle du boulot, on se dispute parfois. La parole est devenue un des dimensions clés du travail entre salariés, avec les clients. Bref, on ne peut plus travailler sans communiquer. Cette donnée majeure aujourd’hui par rapport à l’époque du taylorisme n’a sans doute pas encore produit tous ses effets. La parole dans le travail et sur le travail est, et de loin, la première communication de l’entreprise.
Entre les deux, il y a un écart. Un écart comme d’ailleurs entre prescrit et réel dans le travail. La prescription dans le champ de la communication a sa légitimité, son ordre, ses images, ses mots. Le réel est celui des paroles échangées dans le quotidien de l’activité avec son langage, ses représentations, son intelligence collective. L’écart est normal, ce qui l’est moins c’est l’ignorance trop grande qui perdure de ce qu’est la communication dans le travail. Comme si tout le champ communicationnel était occupé par des contenus produits en quantité ou des éléments de langage qui tournent en boucle.
En fait, c’est entre les deux que tout se joue. A condition d’accepter un certain rééquilibrage entre la verticalité de l’information et l’horizontalité des échanges. « Travailler, c’est faire face à ce qui n’est pas prévu », dit l’ergonome François Hubault. Communiquer, c’est aussi faire face à ce qui n’est pas prévu. C’est toujours affronter l’autre qui ne pense pas comme vous. D’une certaine manière, la communication ça ne se prescrit pas dans la mesure où elle est la rencontre de deux volontés qui peuvent ou non passer accord. D’où tout l’enjeu du dialogue dans le travail et dans l’entreprise.
Si produire de l’image et du contenu a son importance, on voit bien que pour les communicants il ne sera plus possible d’ignorer longtemps ce continent de la communication dans le travail. Avant tout parce que le travail change et qu’il contient de plus en plus de communication. Et plutôt que d’amplifier ou d’industrialiser encore plus la diffusion en raison du nombre de canaux, il y a besoin d’une reconnexion au réel pour permettre à la communication d’entreprise d’être moins hors sol.