Le réveil syndical annonciateur d’un réveil démocratique ?

L’affaire paraissait entendue. Le syndicalisme, fortement lié y compris symboliquement au monde industriel, ne devait plus jouer qu’un rôle résiduel en entreprise et de moins en moins au-delà dans la société. La reconfiguration du social au plan interprofessionnel ne devait plus être vraiment de son ressort. Trop archaïque, trop corporatiste, pas assez flexible, pas suffisamment « agile » comme on dit.

Depuis des années, la figure syndicale a été systématiquement dévalorisée, rétrécie, quand elle n’était pas moquée avec condescendance. On se souvient que des Ordonnances en 2017 n’ont eu de cesse que d’en réduire le périmètre et les moyens. Exit le délégué du personnel, foin du CHSCT. Le CSE devait tout rassembler au nom de la sacro-sainte efficacité, jusqu’à y perdre ses prérogatives réelles par éloignement, centralisation et épuisement des acteurs de moins en moins nombreux.

La réforme des retraites est venue bousculer l’édifice social nouveau. Dans une forte et singulière unité, les syndicats se sont en partie réappropriés ce dont on les avait dessaisis. Leur capacité d’entraînement sur une question sociale majeure pour tout un chacun a tout d’un coup rebondi, et cela jusqu’au plus profond des villes moyennes dans une mobilisation plurielle des secteurs professionnels privés et publics. Ce n’est en rien anodin dans un pays aujourd’hui marqué par des fractures et des abandons de toutes sortes. Ce réveil syndical, quelle que soit l’issue du sujet retraite, est une bonne chose pour le social en général et peut-être plus largement pour la démocratie.

Une porte nouvelle s’ouvre pour une représentation collective des salariés qui se charge à la fois de leur défense et de leur perspective en termes de droits. Bien sûr, des pesanteurs demeurent dans chacune des organisations syndicales. Bien entendu, des risques d’instrumentalisation politique existent. Bien évidemment, des chausse-trapes ne manquent pas. Mais la confiance retrouvée dans le syndicalisme en tant qu’acteur de premier plan dans une phase difficile est un pas franchi qui paraissait hors d’atteinte, il y a encore trois mois. 

On peut même dire que dans la crise politique que nous traversons, les forces syndicales apparaissent aujourd’hui comme des pôles de stabilité, en tout cas des interlocuteurs incontournables, alors qu’il est clair qu’on voulait les contourner. La société souffre de la relégation des corps intermédiaires qui n’est pas pour rien dans la montée des extrêmes. Le fait qu’ils se soient manifestés avec une telle constance et une telle force au long des semaines redonne un peu d’espoir. En fait, ils se sont invités eux-mêmes à la table centrale quand on ne les voyait au mieux que dans des consultations périphériques. En se saisissant des questions du travail, ils font non seulement leur métier de syndicalistes, mais ils participent plus largement au réveil démocratique du pays. 

Illustration: Peinture de Gérard Fromanger