L’urgence d’un nouveau contrat social

Dans toutes les analyses suite au scrutin des Régionales, il y a un grand absent : l’entreprise.

Comme si elle n’était pas concernée par ce qui nous arrive collectivement. Le niveau atteint par le Front national interroge certes au premier chef toute la classe politique et ses pratiques hors sol dans un moment de « grande transformation » de la société qui laisse de coté des millions de personnes. Mais cela va bien au-delà. Toutes les composantes de la société civile sont en vérité interpellées, car ce vote en dit long sur un lien social qui n’a cessé de se déliter ces dernières années. Nous sommes en manque d’un contrat social. Et l’entreprise ne saurait être exonérée de ses responsabilités dans cette grande panne française. Elle a des dimensions proprement politiques, mais ses composantes économiques et sociales sautent aux yeux.   Toute une France souffre d’être abandonnée, délaissée. Délaissée par des choix, des arbitrages, des orientations arrêtés sans elle et parfois contre elle. Elle se sent à vrai dire inutile au monde. Et elle le dit avec rage.

Le politique et l’économique ont partie liée, mais quand on voit le terrain perdu ou abandonné par nos politiques aux décideurs financiers et économiques, il est temps de se demander ce que cela produit sur l’état de notre société.  La démocratie a sans aucun doute dans bien des domaines reculé et ce recul n’a pas été compensé par une démocratie d’entreprise soucieuse du « commun » et de sa part dans l’intérêt général. Le court-termisme de la finance, le pouvoir des actionnaires ont de fait éloigné l’entreprise de son rôle dans la cité. Tous les discours sur la RSE masquent mal cet éloignement. Et ce qui se passe aujourd’hui a des allures de retour violent du boomerang pour tout le monde.

Bien entendu, M Gattaz a dit tout le mal qu’il fallait penser du programme économique du Front national. Bien sûr, les syndicats de salariés ont alerté sur les conséquences d’un certain vote. Mais le monde de l’entreprise, dans l’ensemble, est resté fort discret, alors même qu’il ne rechigne pas à donner de la voix quand des intérêts, parfois moins importants, sont en jeu. Or, les craquements de la société française sont tels que les dirigeants des principales entreprises sont directement concernés. Comme le sont d’ailleurs les syndicats très mal à l’aise dans la période. La refondation passera aussi par l’entreprise ou alors nous passerons à côté des enjeux.

Le pire, heureusement, n’est peut-être pas certain. Les déclarations du Premier ministre après le vote ont porté sur l’emploi, la formation, l’apprentissage. Toutes choses qui ont à voir très concrètement avec l’entreprise. C’est a minima reconnaître qu’elle est concernée par ce qui arrive en ce moment à la République. Mais le problème posé par la montée régulière du Front national questionne plus largement nos pratiques démocratiques au quotidien partout dans la société. Et dans le cas de l’entreprise, comme le soulignent avec force les chercheurs réunis par le Collège des Bernardins (cf. Penser l’entreprise – nouvel horizon du politique, Olivier Favereau, Baudoin Roger, Editions Paroles et silence, 2015), il y a sans doute besoin qu’un vent plus démocratique souffle dans la gouvernance des entreprises. Il ne suffira pas de remettre en cause les 35 heures ou de nettoyer le droit du travail au gant de crin, comme le réclament certains dans une approche assez punitive. L’affaire est plus  sérieuse, plus profonde.

En 1945, il y a eu une refondation politique en même temps qu’un contrat économique et social nouveau. Les deux sont à nouveau d’actualité dans un moment de basculement que l’on sent historique. Il s’agit rien moins que de donner à tous les Français des raisons de croire et surtout de faire ensemble. Les salariés,  comme ceux qui espèrent le devenir ou le redevenir.

Les entreprises ont-elles peur de leurs salariés sur les réseaux sociaux?

A l’heure des réseaux sociaux, quelle est l’attitude des entreprises vis-à-vis de leurs salariés ? La question se pose tant à l’externe qu’à l’interne.

 A l’externe, c’est la réputation de l’entreprise qui est en jeu, son capital d’image et tout ce qui vient troubler cette image pose problème. Quand ils s’expriment à l’externe à propos de leur entreprise sur les réseaux sociaux, les salariés sont censés en dire du bien, en vanter les mérites. On les sollicite même de plus en plus dans un rôle dit d’« ambassadeur ». Mais il arrive que les salariés s’expriment sans aménité. Hormis quelques cas isolés, c’est le plus souvent une parole collective qui s’exprime là, notamment en période de conflit ou quand le dialogue social est de mauvaise qualité. Les salariés prennent la parole sur les réseaux sociaux dans une logique d’alerte ou de dénonciation. Ils savent que ça fait mal à l’entreprise. Ils sont conscients de leur pouvoir de nuisance. Et c’est ce qu’ils recherchent en prenant à témoin l’opinion. Plusieurs conflits ces dernières années ont révélé ce type de pratiques, avec ou sans l’aval des représentants des salariés. En clair, les salariés s’autorisent à s’exprimer dehors sur les réseaux sociaux de façon négative quand ça ne va pas dedans. Il y a dans ce cas une externalisation des relations sociales. Ca ne date pas des réseaux sociaux, mais ceux-ci ont la particularité d’amplifier l’impact externe.

Et à l’interne ? Nombre d’entreprises se dotent aujourd’hui de réseaux sociaux d’entreprise (RSE), participant ainsi à la « transformation digitale ». Ces réseaux se présentent comme des plateformes permettant le décloisonnement des échanges, l’expression directe, le travail collaboratif… Les entreprises qui y recourent mettent en avant ces fonctionnalités escomptant une transformation des formes de la communication. La réalité oblige à dire qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et que la transformation culturelle ne tient pas aux fonctionnalités des outils. Une étude récente menée dans un grand groupe du CAC 40 (cf. « Les réseaux sociaux numériques. Vers un renouveau de la communication dans les entreprises ?» in Sociologies pratiques n° 30, 2015) est éclairante. Outre le fait d’une sous-utilisation manifeste du RSE et encore par une population spécifique (les cadres), le réseau ne modifie guère les pratiques existantes. Quand ils sont plaqués sur une réalité culturelle interne qui demeure hiérarchique et pyramidale, les réseaux sociaux internes ne marchent pas vraiment. Les salariés se trouvent en situation d’injonction paradoxale : « communiquez…, mais surtout respectez les ordres ». Alors, ils ont tout simplement tendance à laisser de côté ces nouveaux outils.

Le fond du problème dans les entreprises est le statut de la parole des salariés et du dialogue professionnel. Quand celui-ci existe dans le travail, quand il y a une certaine subsidiarité dans les équipes, alors les salariés s’autorisent à parler en réunion, entre pairs, mais aussi avec le management. Ils peuvent alors plus facilement envisager de s’exprimer sur le travail dans des communautés sur les réseaux sociaux. En clair, les réseaux sociaux internes ne sauraient à eux seuls régler un comportement managérial descendant, pour ne pas dire condescendant et un défaut de communication dans le travail. Ils ne peuvent au mieux que venir en appui d’une démarche reconnaissant la parole des salariés comme un élément-clé à la fois pour la qualité du travail et pour la performance.

Les entreprises gagneraient à appréhender la question des réseaux sociaux en relation certes avec leur stratégie globale, mais aussi à partir de leur approche managériale et sociale. A l’externe, un salarié se fait volontiers « ambassadeur » quand l’entreprise le mérite et quand lui-même est reconnu pour sa contribution. Bref, quand la confiance est là. En même temps, il est parfaitement illusoire d’escompter une expression externe positive quand les relations sociales sont inexistantes ou dégradées. A l’interne, les réseaux sociaux se greffent mal sur un corps hiérarchique et bureaucratique. L’ouverture d’espaces de discussion sur le travail dans les équipes est sans doute un préalable à une véritable prise en mains des réseaux sociaux par les salariés. Question de confiance là encore.