Après les Gilets jaunes…repenser le social

On vit en ce moment un véritable basculement des formes et structures de la vie politique comme de la vie sociale. La démocratie politique et la démocratie sociale se décomposent et se recomposent sous nos yeux sur fond de montée du populisme.

Le politique d’abord. L’élection de 2017 ne saurait cacher ce qui travaille en profondeur notre société. La fonction de représentation est en déclin, en particulier du fait de la déconnexion sociale du politique. L’élection ne joue plus qu’imparfaitement son rôle. D’où la crise de légitimation qui affecte tous les élus, même si les maires gardent encore un certain crédit. Le déclin des partis en est la première traduction, avec une offre politique de plus en plus éloignée de la demande sociale. Manifestation s’il en est de cette crise démocratique, la montée du populisme – qui ne concerne pas que l’extrême droite-, produit un effet de souffle sur la démocratie. Rejet des institutions, des corps intermédiaires, personnalisation à outrance. « A la représentation, on préfère l’identification », remarque Pierre Rosanvallon. Un certain libéralisme pense pouvoir en tirer parti. Voire.

Le social ensuite. Au-delà de tous ses soubresauts, le mouvement des Gilets jaunes est un peu le pendant social de ce qui se passe dans le champ politique. La représentation elle aussi est en déclin. De même que la légitimation de tous ceux qui sont concernés par la régulation sociale au plan national comme dans les entreprises. Le décrochage des syndicats en charge de la représentation en même temps que de la dispute sociale est manifeste. Et quand une forte colère éclate dans un pareil contexte, elle prend une forme éruptive totalement nouvelle. Avec les Gilets jaunes, le collectif ne répond plus de la même façon ni n’agrège plus des revendications comme autrefois. La colère sourd avec violence de la part d’individus qui ne se reconnaissent plus dans le conflit social structurant d’autrefois. Au populisme politique répond une forme de populisme social, aux accents au demeurant très individualistes. L’effet de souffle est là aussi garanti. Et même si les éclats aujourd’hui s’éloignent, les ferments de radicalité sont là qui ne demandent qu’à revenir à la première occasion. Dès lors que les corps intermédiaires s’effacent, la violence a le terrain libre.

Au-delà du constat, on voit bien l’épuisement des formes et des structures anciennes. On voit moins bien ce qui émerge. Dans son récent essai Une colère française (Editions de l’Observatoire), Denis Maillard ouvre quelques pistes de réflexion pour une approche nouvelle de la « question sociale ». Dans le capitalisme mondialisé, la poussée individualiste est au centre de tout ce qui nous arrive. L’urgence selon lui est de proposer de nouvelles formes de représentation, d’action et de mobilisation qui tiennent compte des mutations très profondes de la société française. L’exit, voice, loyalty d’Albert Hirschmann mérite d’être revisité à l’aune des nouveaux défis économiques et sociaux. L’avenir du syndicalisme en dépend sans doute en partie. Il reste que notre société politique comme les acteurs sociaux ne peuvent faire l’économie d’une réflexion et donc d’une pensée sur la démocratie et l’égalité. Cette réflexion concerne tous ceux qui veulent résister au populisme sous toutes ses formes. Grande absente du mouvement des Gilets jaunes, l’entreprise ne peut s’exonérer longtemps de la recherche d’un nouveau contrat social. Si la notion de Responsabilité sociale d’entreprise a bien un sens, c’est le moment de le montrer quand les périls s’accumulent.