Hackerspaces et Fab Labs: laboratoires du travail de demain?

On sait comment est né Internet, au croisement de pratiques communicationnelles libertaires et d’enjeux stratégiques, voire même militaires. Ce creuset singulier a produit une des innovations majeures du dernier siècle dont nous mesurons à peine les effets dans nos vies et notre activité. Il se pourrait bien que germent en ce moment les pousses d’une autre révolution complémentaire de la précédente: celle du travail de demain. Le livre de Michel Lallement L’âge du faireHacking, travail, anarchie ( Le Seuil) nous en montre quelques facettes à travers le récit qu’il fait de l’explosion des Hackerspaces et autres Fab Labs aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, en Allemagne notamment. Quand on prononce le mot hacker, vient tout de suite à l’esprit le pirate informatique qui s’introduit clandestinement dans les systèmes les mieux protégés. La réprésentation n’est pas fausse, mais elle n’est que très partielle. Il y a surtout un mouvement hacker qui existe depuis des décennies et qui se déploie aujourd’hui à plus grande échelle. Ses conceptions se réfèrent à une autre manière, très horizontale, de collaborer et de produire. Une « nouvelle grammaire du travail » se dessine à bas bruit. De jeunes ingénieurs, des artistes, des chercheurs, tous passionnés, se réunissent dans ces nouveaux lieux ouverts que sont les hackerspaces pour « bidouiller », créer, inventer et faire. Le mot faire indique que dans ces lieux, on produit avant tout à partir d’ordinateurs, d’imprimantes 3 D, mais aussi de machines plus classiques pour travailler le bois, le fer, le textile… Le tout sous-tendu par une éthique profondément libertaire (Do it yourself), mais avec le sens du collectif (Do it with others). Une galaxie composite aux apparences marginales, mais qui irrigue à travers réseaux, recherches, revues, fêtes et rassemblements. Qu’est-ce au juste ? Un retour à l’artisanat, mais largement high tech ? Des phalanstères d’un nouveau type ? Des labos socio-politiques du futur ? Des pratiques en rupture avec le libéralisme ambiant ? Un peu tout ça à la fois. La plongée dans cet univers que nous propose Michel Lallement ne peut que nous interpeler. Sachant l’immense capacité du capitalisme à recycler ce type de transformations, on peut à bon droit s’interroger sur ce qu’il adviendra de cette innovation radicale du faire, à la fois en termes de structure, de philosophie, de conception du travail et de la création de richesses. La comparaison avec Internet est sans aucun doute pertinente. On sait ce qu’étaient à l’origine les Steve Jobs et autres Steve Wozniak. Du garage au hackerspace, il n’y a qu’un pas. Et c’est justement ce qui est passionnant dans l’aventure qui se joue en ce moment même à San Francisco, Berlin ou Amsterdam. Comment une innovation (qui est toujours à l’origine une transgression) va devenir par un phénomène de socialisation un élément du quotidien du travail demain ? Jusqu’où la marchandisation peut-elle opérer dans ces labos du futur? A suivre…de près.