Le réveil syndical annonciateur d’un réveil démocratique ?

L’affaire paraissait entendue. Le syndicalisme, fortement lié y compris symboliquement au monde industriel, ne devait plus jouer qu’un rôle résiduel en entreprise et de moins en moins au-delà dans la société. La reconfiguration du social au plan interprofessionnel ne devait plus être vraiment de son ressort. Trop archaïque, trop corporatiste, pas assez flexible, pas suffisamment « agile » comme on dit.

Depuis des années, la figure syndicale a été systématiquement dévalorisée, rétrécie, quand elle n’était pas moquée avec condescendance. On se souvient que des Ordonnances en 2017 n’ont eu de cesse que d’en réduire le périmètre et les moyens. Exit le délégué du personnel, foin du CHSCT. Le CSE devait tout rassembler au nom de la sacro-sainte efficacité, jusqu’à y perdre ses prérogatives réelles par éloignement, centralisation et épuisement des acteurs de moins en moins nombreux.

La réforme des retraites est venue bousculer l’édifice social nouveau. Dans une forte et singulière unité, les syndicats se sont en partie réappropriés ce dont on les avait dessaisis. Leur capacité d’entraînement sur une question sociale majeure pour tout un chacun a tout d’un coup rebondi, et cela jusqu’au plus profond des villes moyennes dans une mobilisation plurielle des secteurs professionnels privés et publics. Ce n’est en rien anodin dans un pays aujourd’hui marqué par des fractures et des abandons de toutes sortes. Ce réveil syndical, quelle que soit l’issue du sujet retraite, est une bonne chose pour le social en général et peut-être plus largement pour la démocratie.

Une porte nouvelle s’ouvre pour une représentation collective des salariés qui se charge à la fois de leur défense et de leur perspective en termes de droits. Bien sûr, des pesanteurs demeurent dans chacune des organisations syndicales. Bien entendu, des risques d’instrumentalisation politique existent. Bien évidemment, des chausse-trapes ne manquent pas. Mais la confiance retrouvée dans le syndicalisme en tant qu’acteur de premier plan dans une phase difficile est un pas franchi qui paraissait hors d’atteinte, il y a encore trois mois. 

On peut même dire que dans la crise politique que nous traversons, les forces syndicales apparaissent aujourd’hui comme des pôles de stabilité, en tout cas des interlocuteurs incontournables, alors qu’il est clair qu’on voulait les contourner. La société souffre de la relégation des corps intermédiaires qui n’est pas pour rien dans la montée des extrêmes. Le fait qu’ils se soient manifestés avec une telle constance et une telle force au long des semaines redonne un peu d’espoir. En fait, ils se sont invités eux-mêmes à la table centrale quand on ne les voyait au mieux que dans des consultations périphériques. En se saisissant des questions du travail, ils font non seulement leur métier de syndicalistes, mais ils participent plus largement au réveil démocratique du pays. 

Illustration: Peinture de Gérard Fromanger

Maltraité, le social ressort toujours là où on ne l’attend pas

Trois ans d’un travail chamboulé par l’épidémie et ses suites pour finir sur la réforme des retraites. En empruntant le plus court chemin à dominante budgétaire, c’est comme si tout ce qui nous arrive dans le travail au fond n’existait pas. On ne retient que l’équilibre comptable fondé sur un déséquilibre social.

Le plus lourd dans l’affaire, c’est l’oubli du travail, de tout ce qu’il représente, tant dans son organisation que dans ses conditions. La toise des 64 ans avec quelques menus aménagements est une réponse hors du travail réel. Cela, alors que l’on sait combien les métiers et les salariés du back-office sont à la peine au sens propre. Cela, alors que l’on sait la part des conditions de travail, des contraintes physiques ou psycho-sociales dans de nombreux métiers en difficulté de recrutement, sans parler même des rémunérations. Cela, alors que les toutes premières mesures d’âge concernent les salariés, hommes ou femmes, dont on se sépare couramment bien avant 60 ans. De tout cela, il n’est guère question ou alors si peu. C’est comme si on refermait le chantier sur les seules données paramétriques de la retraite, là où le travail est questionné beaucoup plus largement. La réforme des retraites intervient en somme comme un solde de tous comptes des questions du travail.

Il n’est pas sûr que la retraite reste longtemps le seul sujet de préoccupation. Les dernières années ont montré qu’il n’était pas si aisé de refermer le couvercle du travail sous une simple approche financière. Maltraité, le social ressort toujours là où on ne l’attend pas. Il est fort possible que, par-delà les résistances et les mobilisations, la réforme passe in fine. Il est moins certain que cela se fasse sans dommages dans la société ou dans les entreprises. Des phénomènes de radicalisation sectorielle ou de retrait pourraient bien être le pendant d’un « travailler plus » indifférencié, surtout quand la qualité du travail n’est pas au rendez-vous.

La sociologue Marie-Anne Dujarier rappelait récemment que travail a trois grandes dimensions qui viennent de loin[1]. Il y a l’activité, autrement dit l’effort, la peine que l’on se donne pour faire quelque chose. Il y a l’ouvrage, c’est-à-dire le produit, le résultat du travail. Il y a enfin l’occupation qui permet la subsistance, ce qu’on appelle communément l’emploi. C’est le travail dans ces trois dimensions qui est aujourd’hui questionné. Ce que je fais, ce que je produis et le cadre dans lequel j’exerce mon activité. Or, à rabattre le travail sur le seul plan comptable, on s’expose à manquer tout ce qu’il charrie et qui fait nos existences quotidiennes. La sortie de la pandémie a donné lieu à de fortes interrogations sur le sens du travail. La réforme des retraites n’y répond manifestement pas. C’est ailleurs que cette question reviendra et sans doute de manière inattendue.

Illustration: peinture de Gérard Fromanger


[1] Marie-Anne Dujarier, Trouble dans le travail Sociologie d’une catégorie de pensée, PUF, 2022

Climat… social

On n’est qu’au début de la mobilisation nécessaire pour opérer la bifurcation permettant à nos conduites individuelles et collectives d’être moins dommageables à l’environnement et au climat. Beaucoup a déjà été dit et écrit à propos de cette mobilisation, des « petits gestes » aux politiques publiques. Il est un champ, pourtant, qui est peu évoqué, celui de l’engagement des salariés en entreprise. On le confond avec les politiques RSE. Or, c’est un peu plus compliqué que cela. La réalité est que l’engagement réel des salariés en faveur du climat demeure pour une bonne part sous le radar des stratégies officielles.

En matière d’action concrète, les salariés peuvent se révéler un puissant levier de transformation. D’abord parce qu’ils sont citoyens et qu’à ce titre ils adoptent déjà dans leur quotidien à la maison ou dans la cité des comportements nouveaux s’agissant des déchets, de l’alimentation, de l’énergie ou de la mobilité. Mais qu’en est-il quand ils franchissent le seuil des entreprises ? On assiste à une certaine évaporation des pratiques pour tout un ensemble de raisons qui tiennent au cadre technologique, économique, commercial ou managérial de l’entreprise.

Pour autant, une intéressante étude sociologique commandée par l’Ademe[1] témoigne d’une appropriation croissante des enjeux de durabilité par les salariés. Cette étude, qui m’a été conseillée par Valérie Martin[2], met au jour un phénomène de transfert de pratiques environnementales du domicile au travail avec un rôle singulier de la part de salariés « transféreurs » qui, via des petits groupes support, diffusent de nouvelles conduites en entreprise (ex : le zéro déchet à domicile devenant le zéro papier en entreprise). L’étude de l’Ademe a été suivie d’une enquête nationale auprès des salariés[3]. Elle confirme le mouvement en cours montrant à la fois ses potentialités du fait d’une disponibilité des salariés, mais aussi ses limites qui tiennent souvent à des obstacles matériels, logistiques ou de soutien de la part de l’entreprise. 55% des salariés indiquent encore adopter des pratiques en faveur de l’environnement davantage à leur domicile que sur le lieu de travail. L’élargissement du mouvement social des « transféreurs » reste encore à venir, au croisement d’une dynamique identitaire ou militante de certains salariés et d’une diffusion au-delà d’un noyau convaincu. On a ici à l’œuvre un mouvement innovateur qui ne vient pas d’en haut, qui suppose des marges de manœuvre, voire l’acceptation d’une  part de transgression pour favoriser des appropriations et de nouveaux comportements collectifs. 

Voilà qui pose en termes nouveaux quelques-unes des conditions pour qu’une politique RSE devienne crédible. On sait la défiance qui touche aujourd’hui les discours trop globaux d’entreprise. D’une certaine façon, c’est encore plus vrai quand ils traitent des enjeux de l’environnement. Thierry Libaert a récemment fait état d’une recherche[4] menée aux Etats-Unis qui atteste du rôle décisif des salariés pour crédibiliser une politique RSE. Ils en sont à la fois les premiers témoins et, potentiellement, les plus efficaces propagateurs, dès lors qu’ils en perçoivent la cohérence et surtout qu’ils sont eux-mêmes en situation d’agir.

Deux leçons à mon sens pour les communicants et singulièrement les communicants internes. Il ne suffit pas ou plus de diffuser sur un mode descendant les stratégies RSE, aussi bien intentionnées soient-elles. Les efforts se révèlent le plus souvent vains, même en l’absence de greenwashing. Il faut plutôt aller chercher au fond des entreprises, des métiers et des collectifs des actions de transfert, des actes déclencheurs, des changements micro qui ont vocation à devenir demain macro. Cette attention et la mise en valeur d’une réalité sociale et professionnelle en émergence est aujourd’hui le meilleur service que les communicants peuvent rendre à la mobilisation collective et aux politiques RSE elles-mêmes. Loin du déclaratif sans doute, mais plus près du performatif.

Illustration: peinture de Gérard Fromanger « A chacun son Everest »


[1]« Le transfert de pratiques environnementales domicile/ travail », Bureau d’étude sociologique/ Gaêtan Brisepierre, Ademe, 2018

[2] Cheffe du service Mobilisation Citoyenne et Médias de l’Ademe

[3] Enquête Harris Interactive pour l’Ademe et A4MT, 14 décembre 2020.

[4]Yeujae Lee, Weiting Tao, « Employees as information influencers of organisation’s CSR pratices: the impacts of employees words on public perceptions of CSR, Public Relations review, n°46, 2020

Dialogue social: le besoin de connaissances pour sortir du « flou »

Cette note de lecture est publiée dans la revue Cadres de novembre 2022. Je remercie son rédacteur en chef Laurent Tertrais de me permettre de la reproduire sur mon blog.

L’expression « dialogue social » n’a pas toujours eu cours, singulièrement dans le champ de la recherche en sciences sociales. Longtemps, la sociologie a privilégié en France sous l’influence de Georges Friedmann ce que l’on appelait les « relations industrielles » et, plus tard, les « relations professionnelles » avec Jean-Daniel Reynaud. L’évolution lexicale n’est jamais neutre et traduit un certain regard tant sur les procédures que sur les relations entre acteurs. Un groupe de chercheurs appartenant pour l’essentiel aux sciences de gestion a fait le choix, tout en reconnaissant qu’il s’agit d’un « concept flou », de reprendre le vocable dialogue social et d’en cerner quelques caractéristiques en prenant le parti d’une « analyse organisationnelle »[1]. A leurs yeux, la dimension organisationnelle a longtemps été ignorée dans les relations sociales au profit de lectures économique, juridique ou politique. 

         On peut retenir deux parti pris dans ce livre. Le premier a trait au niveau d’analyse. Alors que la tendance ces dernières années a été de ne retenir comme niveau pertinent que la seule entreprise, les auteurs tiennent à ne pas en rester à ce niveau micro. Qu’il s’agisse de penser le rapport entre conflit et coopération, la régulation des relations de travail, les restructurations d’entreprises ou la place des acteurs sociaux, ils optent pour un niveau méso d’analyseEn tenant compte des complexités et ambivalences locales, une focale plus large leur semble à même de produire des connaissances utiles aux acteurs de terrain. Il y a dans ce livre l’écho tout à fait intéressant de recherches en cours sur le rapport entre dialogue social et dialogue professionnel, sur la place du dialogue dans les restructurations ou encore sur l’évolution des relations sociales dans la période pandémique. S’agissant des acteurs, deux recherches retiennent l’attention. L’une sur les tensions que vivent les administrateurs salariés en raison du caractère très codé des CA et d’une distance vis-à-vis de leurs organisations syndicales de rattachement, l’autre sur les DRH et l’influence sous-estimée de leurs émotions dans la conduite des PSE. 

         Le second parti pris du livre est de valoriser l’apport des sciences de gestion. Longtemps, elles n’ont pas été en première ligne dans ce champ de recherche occupé plus souvent par des sociologues, voire des juristes. Les reconfigurations de la scène sociale sous l’effet des transformations du travail, des réformes multiples sous l’impulsion du politique et du repositionnement des acteurs patronaux comme syndicaux appellent un besoin renouvelé de connaissances. Les sciences de gestion apportent une dimension compréhensive utile que le livre illustre bien, mais l’on sent en même temps combien une approche pluridisciplinaire est nécessaire. Les auteurs en sont d’ailleurs conscients quand ils jettent des ponts que ce soit avec la sociologie ou le droit. Si, comme ils semblent le penser, le dialogue social est en train de devenir un « nouvel esprit » des relations professionnelles, alors on aura à tout le moins besoin de regards croisés pour en penser les formes et les enjeux. Un peu à l’image de ce qui s’est fait à partir des années 1970 quand, autour de Jean-Daniel Reynaud notamment, un groupement de recherche a permis de faire tomber des murs disciplinaires et académiques[2]. Autre temps certes, mais l’enjeu est au moins aussi important aujourd’hui. Il est prometteur de voir sociologues et gestionnaires se retrouver dans des journées d’étude conçues en commun. La dernière en date a eu lieu en mars 2022 sur le thème des « pratiques managériales du dialogue social ». A suivre. C’est ce que fait en particulier aujourd’hui l’Association pour la sociologie de l’entreprise (APSE) à travers un cycle sur le syndicalisme et les relations sociales.

Illustration: Gérard Fromanger  » Le Coeur fait ce qu’il veut Cardiogramme » 2019


[1] Rémi Bourguignon, Arnaud Stimec (dir), L’analyse organisationnelle du dialogue social Pratiques et perspectives théoriques, Editions EMS, 2022

[2] Michel Lallement, « Genèse d’un champ de recherche sur les relations professionnelles en France », Nouvelle revue du travail, n°21, 2022

Quand l’euphémisation du marketing RH montre ses limites

Fini les syndicats, on s’est mis à parler de « partenaires sociaux ». Fini les salariés, le mot « collaborateur » a pris la place. Révision lexicale encore quand, plutôt que de parler de situation de travail, on s’est mis à évoquer « l’expérience collaborateur ». Et puis, il y a eu « le collaborateur ambassadeur », dérivé de l’employee advocacy , la « marque employeur », sans oublier l’éphémère « chief happiness officer »

Tout un vocabulaire standard s’est ainsi répandu d’une entreprise à l’autre avec plus ou moins d’ampleur. En faisant la part de ce qui peut relever d’une évolution réelle des situations et des mots qui les traduisent, force est de constater avec le sociologue Pascal Ughetto[1] que le marketing RH a produit des expressions qui euphémisent la réalité sociale. Par leur standardisation, elles ont crée plus de distance que de proximité avec le travail et ses acteurs, même s’il y avait au départ une certaine volonté de mettre l’accent sur le social. Mais la réalité ne se laisse pas facilement enfermer, en tout cas pas longtemps, dans des mots qui ne lui correspondent pas ou mal.

On a ainsi rapidement perdu de vue dans la dernière période les « chief happiness officers », sans doute parce qu’ils ne répondaient pas à la gravité des crises que nous traversions et que leur offre était, pour le dire gentiment, décalée. De même est-il beaucoup moins question aujourd’hui des « collaborateurs ambassadeurs ». Olivier Cimelière en a finement analysé les raisons sur son Blog du communicant.[2]. Le mot ambassadeur a une force qui excédait sans doute l’intention des promoteurs de la démarche et supposait, à tout le moins, des marges de manœuvre qui n’étaient pas au rendez-vous pour les salariés.

Ce qu’ils ont vécu ces deux dernières années a sans doute mis en alerte les salariés sur le sens des mots, à mesure qu’ils éprouvaient, parfois durement, de réelles transformations dans leur travail. L’édulcoration, l’écart entre la promesse et le réel n’en étaient que plus mal perçus. Les crises ont fait croître les exigences, aussi bien des salariés en entreprise que des futurs salariés. Dès lors, le marketing RH, tant interne qu’externe, pose la question plus large du lien de la fonction RH mais aussi des communicants internes avec le travail, les collectifs, l’organisation concrète des métiers. Un vocabulaire désajusté de ces différents points de vue produit, surtout en ce moment, des effets contraires à ceux recherchés. C’est particulièrement vrai dans les secteurs qui recrutent ou dans les entreprises confrontées à des reconfigurations des temps, des lieux et de l’action professionnelle. 

Que le marketing RH joue son rôle est souhaitable, mais dans des termes qui ont un sens concret, fondé sur une dimension sociale et professionnelle factuelle et opposable. En même temps qu’un positionnement plus près du terrain, les RH et les communicants ont un vrai chantier devant eux : celui des mots pour dire le professionnel d’aujourd’hui sans chercher ni à l’édulcorer, ni à l’enchanter. 


1] Intervention lors du séminaire de l’Observatoire des cadres et du management, « Fonction RH Saisir le moment de la métamorphose » 6 septembre 2022

[2] Blog du communicant, Communication & Marque employeur : Les programmes « Employee Advocacy » ont-ils encore un intérêt ? 6 octobre 2022

Où l’on reparle du travail, oui mais lequel…

Il n’a longtemps été question que d’emploi, essentiellement sur le plan statistique et quantitatif. La crise, qu’elle soit sanitaire ou climatique, ramène aujourd’hui la question du travail. Sans doute n’a t’elle jamais cessé de se poser, mais elle était enserrée dans une approche à dominante économique qui en masquait les déterminants socio-historiques.

En somme, il a fallu que nous soyons confinés pour faire ressortir paradoxalement toute l’ampleur du travail et de ses transformations. Tout un impensé de ce qu’il représente est remonté à la surface venant bousculer des certitudes trop bien réglées. Au-delà des débats sur le télétravail, les nouveaux espaces de travail ou la « grande démission », le caractère politique du travail[1] a fait irruption de façon concrète. Sa finalité comme son organisation ont à voir avec le « monde commun » dans lequel nous vivons et dans lequel nous souhaitons nous projeter. Les secousses sur le plan de la santé et du climat ont servi en quelque sorte de révélateurs.

Mais nos responsables politiques et économiques répugnent toujours à sortir de l’approche classique. Le travail n’est majoritairement appréhendé que sous l’angle du seul emploi. En témoignent les débats à l’agenda sur l’assurance chômage ou sur les retraites. Ils sont pour l’heure à cent lieues des interrogations qui montent sur les conditions de travail ou le sens que celui-ci a dans nos vies. Les réponses politiques en préparation ne correspondent manifestement pas à la dimension politique que prend le travail de chacun.

On manque de chauffeurs de bus scolaires, on manque de main d’œuvre dans l’agro-alimentaire, l’hôtellerie-restauration ou la construction ; des jeunes répugnent à rejoindre certains grands groupes… ou en démissionnent plus qu’avant. Il y a des raisons liées aux rémunérations, mais une étude de la Dares[2] a récemment confirmé le lien très fort avec les conditions de travail, qu’il s’agisse des contraintes physiques, des contraintes psycho-sociales et de l’impossibilité de pouvoir faire un travail de qualité. De cela, les responsables politiques ne tiennent pas vraiment compte quand ils envisagent de restreindre encore les droits des chômeurs, plutôt que d’aborder de front la qualité du travail. De même, ne s’aventurent-ils pas sur la question du sens du travail quand certaines façons de collaborer en entreprise résonnent négativement avec la manière d’exploiter les ressources de la planète.

Si la dimension économique du travail existe bel et bien comme facteur de production notamment, il est manifeste que le travail a connu ces dernières années de telles déformations que l’on ne peut que s’interroger sur son empreinte sociale, écologique, voire existentielle. Dans son dernier livre[3], Marie-Anne Dujarrier revient de façon très détaillée et convaincante sur ce qu’elle appelle les « troubles du travail » dans la période néo-libérale que nous connaissons. Précarité, autoproduction, travail du consommateur, plateformisation, marchandisation des données…les frontières du travail sont en pleine reconfiguration, avec des conséquences sur le rapport entre travail et emploi, travail et rémunération, travail et activité. 

« Qu’est-ce que travailler au fond ?… Que faut-il produire ?…Comment cette production offre-t-elle à chaque humain la possibilité d’accéder à une activité sensée ?…Quelle place respective donne t’on à l’activité humaine, animale, végétale et robotique ?… ». Ces questions que certains pourraient trouver loin du réel sont en réalité au cœur des préoccupations de beaucoup. Il y a là de quoi alimenter tout un champ de réflexion et de délibération en entreprise et dans la société. Le travail vaut décidément plus que ce qu’il est convenu d’appeler « valeur travail » limitée aux trimestres cotisés.

Illustration: Gérard Fromanger, Impressions soleil levant 2019


[1] « Les bouleversements contemporains nous rappellent que le travail est une activité politique », Anthony Hussenot, Emilie Lanciano, Jonathan Sambugaro, Philippe Lorino, The Conversation 21 Juillet 2022

[2] « Quelles sont les conditions de travail qui contribuent le plus aux difficultés de recrutement dans le secteur privé ?», Dares Analyses, n°26, juin 2022

[3] Marie-Anne Dujarrier, Troubles dans le travail Sociologie d’une catégorie de pensée, Puf, 2022

La frénésie organisationnelle des comités, cellules, task-forces et autres conseils…

Cette note de lecture a été publiée dans la revue Cadres de juillet 2022. Je remercie son rédacteur en chef Laurent Tertrais de me permettre de la reproduire sur mon blog.

Nous sommes dans une société saturée d’organisations. Tel est le constat fait par un collectif de chercheurs du Centre de sociologie des organisations (CSO) (1). Dans une époque qui vante autant l’individualisme que l’horizontalité et la fluidité dans une approche réticulaire « post-organisationnelle », il est assez paradoxal d’observer la place et l’emprise des organisations de toutes sortes. A chaque problème, une organisation, et cela tant dans le domaine privé, public, associatif que professionnel. La pandémie vient encore d’offrir un condensé saisissant de cette « saturation organisationnelle » à travers une variété de comités, de cellules, de task-forces, de conseils…, autant dire d’organisations s’ajoutant le plus souvent à celles qui existent déjà. Pourquoi cette « frénésie organisationnelle » ? Que produit-elle ? Que change-t-elle ?

En utilisant les robustes grilles d’analyse de la sociologie des organisations, tout en s’élargissant à d’autres sciences sociales, notamment l’histoire ou le droit, l’équipe de vingt huit chercheurs sous la direction d’Olivier Borraz nous propose une très intéressante radiographie organisationnelle actualisée. Les configurations socio-organisationnelles changent sous l’effet conjugué de la globalisation et du numérique. Les mécanismes de concurrence du marché déplacent les lignes entre privé et public. Des logiques autoritaires et technocratiques mettent les nombres au poste de commande des organisations. Des défis sociaux, climatiques et sanitaires taraudent nos sociétés. Des mobilisations collectives nouvelles voient le jour. Autant d’éléments qui agissent sur les contours, les normes, les règles, les procédures de décision des organisations dans une complexité accrue. Et dans le même temps, les chercheurs montrent bien ce qu’en retour la saturation organisationnelle fait à la société et à la démocratie, en termes de défiance notamment.

Pour autant, sous la profusion à l’origine d’une incertitude certaine, il y a toujours des systèmes, des sous-systèmes, des rôles, des relations et surtout des acteurs. Et c’est au fond cette permanence organisationnelle que les chercheurs du CSO tentent d’appréhender au-delà des formes et des transformations innombrables. C’est vrai quand il s’agit par exemple de saisir ce qui se joue en termes de pouvoir dans les changements organisationnels. Olivier Borraz montre combien, quel que soit le contexte, le pouvoir des acteurs tient toujours à la maîtrise des savoirs et savoir-faire, à la maîtrise de l’information et de sa circulation, à la relation à l’environnement et à la possibilité d’édicter des règles. Ces balises solides permettent de comprendre tout à la fois les déplacements en cours et les stabilités.

Dans cette large radiographie organisationnelle, on regrettera peut-être que l’entreprise en tant que telle ne soit pas abordée plus distinctement. Les modèles bureaucratiques privés ou publics ne sont plus les mêmes qu’il y a une cinquantaine d’années, les surfaces et les frontières évoluent avec les startups ou les plateformes, mais l’entreprise reste une organisation d’un type particulier avec ses structures, ses interactions, ses cultures. Il y a sans doute une société des entreprises qui mérite d’être revisitée et réactualisée sur un plan sociologique. 

(1) Olivier Borraz (dir) La société des organisations, Presses de Sciences Po, 2022                          

Entre contenus et consentement, les défis de la communication en entreprise

Cet article reprend une intervention lors du Colloque « Consentir ? Pourquoi, comment et à quoi ?  » qui s’est tenu à l’ESCP le 9 juin 2022. Merci à Jean-Michel Saussois de me permettre de reprendre ici mon propos

La communication en entreprise tant sur le plan fonctionnel que sur le plan social est face à des problèmes de soutenabilité et de consentement. 

La fonction communication en entreprise vient, rappelons-le, d’une double matrice:

-Le modèle mathématique de l’Information à partir du schéma canonique Emetteur – Canal – Récepteur sur lequel s’appuient la transmission et la diffusion. L’essentiel est de transmettre des contenus, des données, des informations. On retrouve la forte empreinte de cette approche quantitative à travers ce qu’on appelle aujourd’hui la content factory, la multiplication des canaux appelant une profusion des contenus.

-Le modèle des Relations publiques, du marketing et de la publicité. Avec, dès le départ, un programme explicite formulé et promu par Edouard Bernays en ces termes: « Faire penser à des cibles ce qu’on veut qu’elles pensent afin qu’elles fassent ce qu’on veut qu’elles fassent». C’est la fameuse manufacture of consent de Walter Lippmann développée dans le temps selon des modalités très sophistiquées.

Ces modèles puissants du content et du consent ont été à la base de la communication de masse et de la consommation de masse. Ils ont irrigué tous les métiers de la communication, y compris la communication interne en entreprise. Avec un certain nombre de traits communs, à savoir une logique unidirectionnelle, un caractère descendant, une conception du récepteur considéré comme « apathique », une « fabrique du consentement » fondée sur une approche quantitative et diverses techniques de manipulation.

Modèles puissants, mais avec des désajustements de plus en plus marqués qui ont à voir avec leur soutenabilité et avec le consentement. C’est le cas pour la publicité fondée sur le couple imaginaire/obsolescence, notamment dans un contexte de transition climatique. C’est le cas s’agissant de la profusion des contenus, on l’a encore vu récemment en entreprise pendant la pandémie. C’est le cas avec le besoin de proximité qu’une communication massifiante et surplombante ne satisfait pas. C’est le cas enfin quand, à travers des réactions du type « c’est de la com ! », on indique la faiblesse du consentement qui s’y attache.

Pour faire face aux crises économiques, et cela pratiquement depuis 1929, la mobilisation des imaginaires, des désirs et des passions à travers la publicité est allée de pair avec l’obsolescence plus ou moins programmée des produits. Le couple imaginaire/obsolescence a contribué à la dynamique de la consommation et de la surconsommation. Avec la transition climatique, ce couple est bousculé. Le consentement à ce modèle est en recul. En témoignent plusieurs rapports récents sur la publicité et l’expression d’associations ou de courants de la société civile. Il y a une demande politique d’un autre logiciel de communication plus soutenable. Une tribune parue dans Le Monde fin mai évoquait un modèle « injuste et insoutenable » et appelait à une « régulation de la communication ». Quelques professionnels de la communication en agence ou en entreprise commencent à réorienter non seulement le contenu des messages, mais aussi à s’interroger sur la matrice elle-même.

Dans la période récente, et singulièrement depuis la crise sanitaire, nous avons suivi les communicants internes. Sous diverses formes, ils expriment le besoin de déplacer le curseur de la transmission vers la relation. Avec d’autres, notamment les managers de proximité, ils ont été des agents de liaison, des facilitateurs de liens en situation critique et pas seulement des transmetteurs de contenus. La place qu’ils ont su occuper les a rapprochés du travail. Et il est intéressant de voir comment cette question du travail en situation de crise, avec toutes les réorganisations en cours (travail à distance, travail hybride, nouveaux espaces de travail…), rétroagit sur la communication et sur l’information elle-même. Plusieurs communicants cherchent à faire évoluer la production d’information dans le sens d’une plus grande qualité en même temps que d’une plus grande sobriété. Comme si l’infobésité qui prévalait avec la content factory (profusion des canaux, profusion des contenus) ajoutait de la crise à la crise. Là aussi, il est question de soutenabilité et de consentement.

En resserrant encore un peu plus la focale, regardons ce qui se passe en matière de communication dans le travail. Là aussi des déplacements sont à l’œuvre qui ont à voir avec la soutenabilité et le consentement au travail. Lors d’une enquête menée dans le cadre de l’Association française de communication interne sur la Parole au travail, nous avons pu observer le développement de démarches locales, voire micro-locales de communication. Des Espaces de discussion, des Groupes d’analyse de pratique, des Espaces de co-développement pour les managers, des Briefs débriefs au quotidien…. 

D’origine ou de formes différentes, ces démarches convergent autour de quelques points:

-une parole qui cherche à se développer plus en proximité du travail réel ;

-une parole qui évoque les problèmes au quotidien là où ils se posent;

-des managers doublement concernés par cette parole au et sur le travail, à la fois dans le rapport à leurs équipes et en ce qui concerne leur propre travail;

-la place du dialogue, voire de la dispute dans le travail.

Ces pratiques de dialogue dans le travail prennent un sens particulier dans une période post-pandémie qui fait bouger les unités de temps, de lieu et d’action. En tenant compte de leurs limites (pérennité parfois problématique, instrumentalisation fréquente…), on est là malgré tout face à une logique inverse de celle fondée sur la seule transmission qui a occupé toute la place dans le management et la communication. On voit bien que la question de la soutenabilité et du consentement au travail est de plus en plus liée avec le fait de se mettre d’accord et avec le pouvoir d’agir sur le cours des choses.

François Bloch-Lainé, dans les années 1960, disait déjà ceci à propos de l’entreprise : « La contestation va de pair avec la participation. Elles se développent toutes les deux car la matière à discussion grandit. On s’explique au lieu de se contraindre. » S’expliquer et pas seulement expliquer est un enjeu de tout premier plan dans le management et dans la communication. Un enjeu directement en lien avec le consentement. C’est en tout cas une donnée à prendre en compte pour nombre d’entreprises qui peinent aujourd’hui à recruter ou à fidéliser.

Ces quelques remarques sur la relation entre communication et consentement en entreprise montrent, me semble-t-il, au moins deux choses :

-le caractère de moins en moins soutenable des modèles de communication et de management qui ne font pas place à « l’intelligence de l’autre »;

-le besoin, tant dans la société que dans l’entreprise, de s’expliquer.

La question de la communication et du consentement se joue au fond dans la capacité des « publics » d’être acteurs et non pas seulement récepteurs de ce qui vient d’en haut. Dans son débat avec Walter Lippmann, John Dewey disait toute l’importance de s’appuyer sur « l’intelligence collective des publics». Nous y sommes et c’est une tâche importante, de nature quasi démocratique, pour les professionnels de la communication que de s’en saisir.

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Gérard Titus Carmel n°11

C’est du côté du travail que ça coince

Les chiffres du second tour de l’élection présidentielle sont cruels. C’est dans la population active, celle qui aujourd’hui travaille ou est au chômage que Marine Le Pen fait ses plus gros scores, alors que le président l’emporte assez largement chez les jeunes et surtout les retraités. Au-delà de choix idéologiques, il y a là une réalité sociale et politique dangereuse. L’emploi, le travail tels qu’ils sont n’offrent pas, pour de trop nombreux salariés, de perspectives suffisantes pour empêcher qu’ils basculent dans un vote de dépit, de frustration et de colère. 

Bien sûr, la question du pouvoir d’achat est apparue centrale dans la campagne, mais on peut penser qu’il y a d’autres déterminants à ce vote. Le sentiment d’être relégué, dévalorisé, voire méprisé pèse peut-être plus que le seul pouvoir d’achat, même si, on le sait, la part de reconnaissance qui s’attache au salaire reste une donnée de base. Les  Gilets jaunes témoignaient déjà de cette réalité sourde. Il semble que le mal ait encore gagné en ampleur, jusqu’à toucher le cœur du salariat. Dans son dernier livre « Les épreuves de la vie Comprendre autrement les Français »[1] Pierre Rosanvallon décrit bien ce phénomène profond. C’est à partir du ressenti du mépris, des injustices, des discriminations qu’il faut aujourd’hui appréhender le social. Moins à partir de chiffres, de catégories ou de données statistiques, comme on a trop tendance à le faire.

Cette approche du travail par les « épreuves » des salariés est un enjeu pour les entreprises, les syndicats et bien sûr le pouvoir politique. Il y a manifestement trop de ressentiment qui n’arrive pas à trouver de débouchés dans le cadre de l’entreprise, alors que c’est là que se joue non seulement la situation des salariés, mais aussi, on le voit bien, une part de citoyenneté. Certes, le chômage a reculé, mais qu’en est-il de la qualité de l’emploi ? La conduite des entreprises par la finance a fait des dégâts qui rejaillissent sur la scène publique. Et puis, comment ne pas voir que les rémunérations extravagantes récemment dévoilées des dirigeants des grandes groupes suscitent de la violence, en tout cas une violence rentrée qui se retrouve dans les urnes. 

Dans la campagne électorale, il a été bien peu question du travail, alors que c’est une des matrices de notre vie en société. S’il y a besoin d’un pacte social dans la période qui vient, il doit repartir de là. Ce qui a été engagé, encore timidement, avec la « raison d’être » des entreprises ou avec la « société à mission » doit pouvoir s’incarner dans le travail réel. Il y a manifestement besoin de nouveaux compromis avec les salariés et leurs représentants qui ne sont pas, rappelons-le, une partie prenante parmi d’autres. Partir des situations, de la place de chacun, des réalités du travail : les reconfigurations de l’organisation du travail après la pandémie peuvent être une opportunité de refonder le pacte social. Ce peut être en tout cas l’occasion de réactiver un lien social distendu à partir de l’expression des épreuves traversées et des attentes des salariés. 

L’élection récente constitue une alerte. Une alerte sociale autant que politique. Les entreprises ne peuvent s’exonérer de cette réalité d’un salariat dont le ressentiment est à un tel niveau d’intensité sur la scène politique. Le traitement ne saurait être cosmétique ou alors, après le soulagement d’un soir d’élection, d’autres abîmes se profileront très vite. 


[1] Pierre Rosanvallon, Les épreuves de la vie Comprendre autrement les Français, Le Seuil, 2021


Travailler et communiquer par gros temps

(Je reprends ici certains des éléments de mon intervention lors du Printemps de l’Association belge de communication interne, le 25 mars à Bruxelles. Merci à toute l’équipe de l’ABCi)

Pandémie, climat, retour de la guerre en Europe. Nous vivons des crises à bien des égards cumulatives. Elles charrient du chaos, de la sidération. Elles offrent aussi des opportunités. Des opportunités de faire face, mais surtout de faire autrement. C’est le cas en entreprise dans le champ du travail.

Du chaos dans le travail, il n’en manque pas par ces temps troublés. Pêle-mêle, l’accroissement des inégalités, les fortes polarisations de situation entre cadres et non cadres ou entre CDI et CDD, la perte de sens dans la succession des événements, le numérique qui souvent isole et éloigne, les espaces de travail déstructurés, le personnel et le professionnel chamboulés. Mais des opportunités, il n’en manque pas non plus. L’expérience inédite des crises oblige à repenser les activités, à apprendre collectivement, à recombiner le travail au quotidien. Il y a un réinvestissement de la scène du travail. On reparle d’organisation du travail. C’est aussi un moment réflexif qui interroge le sens du travail pour chacun. De nouveaux équilibres se font jour entre individu et collectif, entre autonomie et contrôle. Malgré l’éloignement ou à cause de lui, la proximité revient en force. La pluralité des crises sanitaires, environnementales, internationales met le travail à l’épreuve. Nous sommes au cœur d’une tension qui a aussi toutes les allures d’une nouvelle construction. 

En quoi la communication en entreprise est-elle concernée par la transformation en cours? Qu’est-ce qui change dans les pratiques de communication interne ? C’est autour du social, du travail et de la proximité que d’importants déplacements s’opèrent en ce moment. Avec des impacts sur l’information notamment.

 Le social

Il y a chez les communicants, sans doute plus forte qu’avant, la perception que l’entreprise est avant tout un système social. Elle se crée et se transforme avec celles et ceux qui la composent. Le fait d’avoir eu à faire face à un manque de présence ou à des situations critiques a remis l’accent sur les liens, les interactions, les coopérations. Et cela, jusqu’au plus fin des organisations. Comment faire équipe à distance ? Comment tenir en mode dégradé ? Comment garder de l’informel dans les relations ? Une attention au social, voire au micro-social est intervenue qui renvoie aux bases de la communication, non pas dans un sens de repli, mais de compréhension et d’action. Une communication interne loin du social n’a guère d’avenir.

 Le travail

Les crises accélèrent les transformations (télétravail, nouvelles organisations…) qui se traduisent en entreprise par un recadrage des lieux, des temps et des actions. Un des effets directs est le besoin pour chacun de « relocaliser » son travail. Encore faut-il pouvoir en parler individuellement et collectivement. Une donnée émerge pour les communicants : travailler c’est communiquer. « On ne peut plus travailler sans communiquer ». La place de la parole, de l’échange, de l’interaction donne à voir la part croissante de la communication dans l’activité. Pour les communicants internes, c’est un champ d’intervention de toute première importance. Même s’ils ne sont pas les acteurs directs de cette communication de travail, ils peuvent en être des facilitateurs comme ils peuvent contribuer à mettre en visibilité le travail réel. Les deux dimensions feront de  plus en plus partie de l’éco-système de la communication interne.

La proximité

La distance que l’on a connue avec le télétravail notamment repose la question de la proximité en termes nouveaux. Plus nous nous éloignons, plus nous avons besoin d’être proches en somme, même si les formes de la proximité évoluent. La crise sanitaire a mis en évidence le rôle-clé des managers de proximité. Dans certaines situations, ce sont eux qui ont fait « tenir la baraque ». L’alliance des managers et des communicants internes n’est pas toujours aisée. Il y a souvent une méconnaissance du rôle exact de chacun. Mais cette alliance, au travers de la communication managériale, devient une nécessité dans une nouvelle géographie de la proximité en entreprise..

Le fait de mettre ainsi l’accent sur le social, le travail et la proximité amène à revenir sur une des dimensions premières du métier : l’information. Une certaine conception du métier le limite à la fourniture de contenus. Avec les phénomènes qu’on connaît bien d’infobésité et de profusion. Les crises sont l’occasion de produire de l’information, parfois sur un mode continu, mais on a besoin d’une information utile, d’une information sur l’essentiel et beaucoup moins d’une information promotionnelle ou de simple valorisation. D’où l’accent sur la qualité, la précision et aussi la sobriété de l’information, même et peut-être surtout quand on doit communiquer en permanence. Le chercheur Vincent Brulois a constaté de la part des communicants un effort de traduction, de décantation et de désintoxication, à rebours de la profusion et l’infobésité. La gravité des temps requiert une information plus qualifiée et plus adressée.

Tout cela dessine pour demain une communication interne à la fois plus près du travail qui se transforme et plus soucieuse de la qualité de l’information.

Illustration: tableau de Jean Dubuffet Thème II Non lieux