Un nouvel imaginaire de communication et de mobilisation pour la planète

D’une crise l’autre. Les affres de la crise sanitaire occupent aujourd’hui tout l’espace, mais chacun sent confusément que le dérèglement climatique, déjà là en partie, dessine pour demain un horizon de risques plus lourd encore. Comment faire face, comment se projeter ? Si le vaccin sera in fine la réponse à la pandémie, quelle sera celle que nous saurons collectivement et individuellement opposer aux menaces sur le climat ? 

Dans un livre remarquable[1], Thierry Libaert qui s’intéresse depuis des années à la communication de crise comme aux questions écologiques, revient sur les modalités de mobilisation pour le planète. Etayé par l’expérience, son constat tient en quelques points : ce que nous disent les sondages quant à la forte sensibilité à la cause environnementale relève plus souvent du déclaratif que d’un engagement réel; on confond la préoccupation écologique qui serait au plus haut avec un changement de comportement ; et puis, la conviction demeure que l’information est le levier premier de mobilisation. Force est de constater que chacun de ces points révèle une erreur de perspective qui se traduit par un écart entre l’intention et la réalité. Résultat : on parle du climat et rien – ou si peu – ne change vraiment.

Pour plusieurs raisons sans doute, mais il en est une qui l’emporte : l’éloignement. La crise est d’autant plus lointaine qu’on la traite avec des chiffres, des données désincarnées, des projections dans le temps, des considérations peu accessibles par ceux qu’elle va toucher directement. Tout cela contribue à mettre à distance ce qui devrait être proche. La représentation dominante est à la catastrophe pour demain à l’autre bout du monde, mais en définitive cela reste loin de moi dans le temps et dans l’espace. Thierry Libaert illustre son propos d’études et de résultats de recherches qui montrent les effets de distance psychologique, voire de dissonance cognitive à l’œuvre dans la plupart des communications sur le climat, qu’elles émanent des politiques, des dirigeants économiques, voire même des scientifiques du GIEC ou des ONG. 

Communiquer et mobiliser vraiment en faveur de la planète passe selon l’auteur par le choix de mots justes, la capacité à se représenter la réalité climatique, le lien direct avec le quotidien et, surtout, le « récit » d’un monde souhaitable… On a besoin  d’un nouvel imaginaire dans la lutte contre ce dérèglement majeur. Quel avenir  voulons-nous ensemble ? Il faut un objectif commun à partir duquel mobiliser chacun. « Un récit mobilisateur ne peut être qu’une histoire partagée, à défaut il ne subsistera que des éléments de langage sans aucune portée » , affirme Thierry Libaert. Dans cette affaire, comme trop souvent, on confond le dessein et les moyens, au point que le défi écologique, avant d’être une ambition porteuse, se résume (et se perd) en une série de contraintes, de limitations et d’empêchements. Pour se mettre en mouvement, il nous faut pouvoir relier ce qui peut être fait, y compris très localement, avec un nouveau rapport au monde.

C’est bien de relation au monde qu’il est question en définitive. Le philosophe et sociologue allemand Harmut Rosa utilise le concept de « résonance ». Longtemps, nous avons considéré le monde comme étant inépuisablement disponible. Les crises sanitaire ou climatique nous donnent la mesure de ce que cette disponibilité totale a produit. Retrouver une résonance avec la nature, les situations et même les objets demande de sortir d’une conception qui cherche à tout prévoir, planifier, calculer. Tout n’est pas accessible, et heureusement peut-on dire. « Ce n’est pas le fait de disposer des choses, mais l’entrée en résonance avec elles, le fait d’être en mesure de susciter leur réponse –l’efficacité personnelle – et de s’engager ensuite à son tour dans cette réponse, qui constitue le mode fondamental pour l’humain de l’être-au-monde dans sa forme vivante »[2],nous dit le philosophe. 

Entrer en résonance avec le monde et s’engager dans une réponse, c’est pouvoir relier l’action concrète, même petite, avec un futur désirable. Merci à Thierry Libaert de nous diriger vers ces « vents porteurs ». On en a plus que jamais besoin!

Illustration: peinture de Gérard Fromanger « Tout est allumé »


[1]Thierry Libaert, Des vents porteurs Comment mobiliser ( enfin) pour la planète, Editions Le Pommier, 2020

[2]Harmut Rosa, Rendre le monde indisponible, La Découverte, 2020