Les nouvelles échelles d’observation et d’action de la communication interne

Au moment où l’on mesure à nouveau toute l’importance de la communication interne en entreprise[1], sa place et surtout son champ d’action méritent d’être réévalués et situés. De nouvelles perspectives, de nouvelles échelles de communication voient le jour dans l’univers en mouvement de l’entreprise. Sans doute moins en surplomb et plus en profondeur.

Il y a quelques années, l’anthropologue Dominique Desjeux proposait plusieurs échelles d’observation des phénomènes sociaux[2]. La réalité sociale n’est pas la même selon le «point de vue » que l’on adopte. Il distinguait quatre échelles d’observation avec plusieurs disciplines pour les appréhender (de l’économie par exemple à la psychologie ou l’anthropologie en passant par la sociologie). Selon que l’on regarde par exemple l’entreprise sur un plan macro social à partir de sa structure, de son organisation, de ses résultats ou de sa population globale, méso social avec chacun de ses métiers et son système d’action, micro social avec les équipes, les collectifs de travail ou micro individuel à partir de l’individu salarié, on n’observe pas la même chose. « Ce que l’on voit à une échelle disparaît à une autre et en même temps on ne peut pas dire que ce qu’on ne voit pas n’existe pas. » Cette question du point de vue est décisive et l’on voit bien son importance dans des contextes d’intenses transformations, aussi bien en termes d’observation que d’action.

Si l’on reprend ces quatre échelles en matière de communication interne, elles renvoient à différents périmètres ainsi qu’à différentes modalités et formes d’expression. Où intervient au fond la communication interne ? Sur un plan macro ? Sur un plan méso ? Sur un plan micro social ou micro individuel ? Sur les quatre échelles, diront bien sûr certains. Voire. La tendance a longtemps été de privilégier le portage du discours global. Soucieuse de cohérence et d’alignement, une certaine approche de communication corporate s’est située pour l’essentiel en surplomb. Et l’on trouve encore des Dircoms jupitériens pour défendre quasi exclusivement cette approche qui confine la communication interne dans un exercice de déclinaison sous contrôle étroit. La communication interne finissait par étouffer dans une conception qui, de fait, ne prenait pas en compte les autres échelles, qu’il s’agisse des métiers et surtout des équipes ou des individus.

Si la communication interne revient sur le devant de la scène aujourd’hui, c’est justement parce qu‘elle peut permettre de se situer à d’autres échelles. On le voit notamment à travers une étude menée récemment par l’Afci[3] qui dessine six chemins d’avenir pour la communication interne. Ils renvoient tous à des échelles plus fines, tenant compte des logiques locales, micro locales et individuelles. Comme si désormais il fallait changer de focale en matière de communication interne. En tout cas, tant la communication managériale que l’enjeu des échanges dans le travail ou le développement du digital posent de redoutables questions de sens et surtout de proximité. Le temps est à un retour au local, non pas dans une approche faussement basiste, mais parce que l’intelligence collective, la créativité, le dialogue peuvent s’y déployer. D’où plus que jamais le besoin d’enquêtes, de rencontres terrain, d’expériences locales, d’alliances pour les communicants avec les managers de proximité…

Bref, la communication interne change d’échelle en sortant du seul plan global ou général pour aller voir en dessous ce qui se passe. Au début du XX ème siècle, le grand sociologue allemand Georg Simmel remarquait que « sous la structure, il y a un nombre infini de formes, de relations, d’actions réciproques entre les hommes (même faiblement importantes) qui contribuent à constituer la société telle que nous la connaissons. Elles se glissent sous les formes plus vastes et pour ainsi dire officielles ». Savoir voir, savoir s’étonner de ce qui se passe « en dessous », c’est le meilleur moyen de situer la communication interne à bonne échelle.

 

 

[1] Cf un récent article d’Hervé Monier sur son blog (brandnewsblog.com)

[2] Dominique Desjeux, Les sciences sociales, PUF, 2004

[3] https://www.afci.asso.fr/wp-content/uploads/2019/06/Afci_SyntheseAteliersCodesign2019.pdf

Nouveaux équilibres des pouvoirs dans le management, les RH et la communication

Qu’il s’agisse de management, de ressources humaines ou de communication, les transformations en cours dans l’entreprise ne peuvent plus faire abstraction d’une réalité  : « ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant et ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant ». Cette « double impossibilité » qu’évoque le sociologue Christian Thuderoz[1], loin d’être bloquante, ouvre des espaces nouveaux en termes de pouvoirs et de rapports sociaux dans l’entreprise.

C’est du côté du management que le changement attendu est le plus marqué. Et il a à voir avec les évolutions du travail. Le « gouvernement du travail » se pose en termes nouveaux quand celui-ci ne peut plus être appréhendé sur le seul mode de la subordination. Elle existe certes juridiquement, mais elle est de moins en moins productive sur le plan du travail lui-même. Aujourd’hui, c’est le pouvoir d’agir des salariés sur leur travail qui fait pour une large part la qualité du travail. En clair, ils doivent être partie prenante des décisions et des arbitrages qui engagent leur travail. D’où l’importance des temps et des modalités de discussion sur le travail. Echanges et disputes sur la façon de faire et de bien faire son travail deviennent au fond aussi nécessaires que les objectifs stratégiques de l’entreprise. D’une certaine façon, ils sont même la condition de leur mise en oeuvre. Le dialogue professionnel n’est plus quelque chose de périphérique, une fois la décision prise, mais est en passe de devenir un puissant levier de transformation de l’entreprise, par le bas en quelque sorte.

Dans ce contexte, la « gestion de la ressource humaine » change. Elle était indexée pour une large part sur une politique du nombre. Elle est désormais requise beaucoup plus du côté du renforcement des capacités des acteurs à prendre des décisions individuelles et collectives sur leur travail (empowerment). Et cela, dans un monde qui, à la fois, requiert de plus en plus de marges de liberté et met en question les protections et sécurités des salariés. Le numérique illustre bien cette forte ambivalence qui demande de la part des RH, mais aussi des syndicats de trouver de nouvelles régulations et des équilibres entre autonomie croissante et sécurisation des parcours professionnels. C’est affaire de négociation sociale dans l’entreprise et au-delà, mais aussi de reconnaissance de nouveaux acteurs, ceux notamment qui travaillent pour les plateformes.

La « double impossibilité » qu’évoque Christian Thuderoz concerne enfin la « politique de communication » qui prévaut dans l’entreprise. Longtemps fondée sur la transmission des informations, des messages et aujourd’hui encore des « contenus », sa caractéristique première par delà les sophistications est d’être monologique. Pour l’essentiel unidirectionnel, ce registre va de pair avec une conception datée des pouvoirs dans l’entreprise. S’il y a bien un domaine qui demande un rééquilibrage entre gouvernants et gouvernés, c’est celui de la communication. Et cela, à la fois de façon symbolique et pratique. Sans doute pour des raisons de réputation, le lâcher prise en matière de communication reste une question délicate. Mais ne nous y trompons pas, les transformations du travail comme les aptitudes des salariés à intervenir et à décider font amplement bouger les lignes de la communication. Il ne suffit plus de transmettre, de diffuser et en définitive d’imposer. L’essentiel se joue ailleurs dans la relation, le partage du sens, la médiation. Là encore, un des enjeux les plus importants concerne le travail qui requiert plus de communication à travers la parole des salariés et les échanges au sein des équipes avec le management.

 

 

[1] Christian Thuderoz, L’âge de la négociation collective, Puf, 2019