« Expérience client », « expérience salarié »: les fausses symétries

Il faut toujours prêter attention aux expressions qui fleurissent ici ou là en entreprise, notamment quand elles viennent du marketing. En ce moment, le mot « expérience » a le vent en poupe. On parle d’ « expérience client », d’ « expérience salarié », voire d’ « expérience candidat » quand il s’agit du recrutement…. Le choix de ce vocabulaire singulier vient à l’origine de l’approche client et de l’investissement de l’entreprise à travers tout un ensemble de dispositifs pour que le client ait le sentiment de vivre une expérience positive. De là, on s’est mis par extension à utiliser le terme à tout va, notamment pour le salarié en mettant en avant une « symétrie des attentions » à établir entre le client et le salarié.

A priori, on pourrait trouver fort pertinente cette symétrie, notamment quand elle vient corriger une attention quasi exclusive au client. Seulement, le problème est que cette symétrie n’existe pas. Elle n’est en l’espèce qu’un raccourci trompeur. Le choix du terme expérience est par ailleurs intéressant. Si le client vit une certaine expérience dans son rapport au produit, au service ou à l’entreprise, elle reste par essence fortement marquée par son caractère aléatoire ou précaire. Utiliser le même terme pour le salarié en dit assez long sur la conception du rapport salarial qui prévaut dans cette approche marketing. Certes, les évolutions de la condition salariale sont une réalité, mais de là à faire de la précarité de l’expérience une valeur….

Par rapport au client, le salarié, fût-il en CDD, vit nécessairement une relation différente à l’entreprise. Il est dans un double lien fait de subordination et d’engagement qui lui confèrent une place à part dans l’espace économique. Il est engagé dans une histoire, la sienne en tant que salarié et celle de l’entreprise dans laquelle il travaille. Il a un certain type d’adhérence à l’entreprise à travers le métier, l’identité professionnelle, le collectif de travail, mais aussi plus largement la culture de l’entreprise. Sauf à se payer de mots, le salarié n’est pas un client. On se rappellera les efforts intenses déployés dans certaines entreprises pour faire que les rapports internes entre salariés ou services soient calqués sur ceux existant entre clients et fournisseurs. Sans grands succès à vrai dire, le salarié ne se vivant pas vraiment comme un client dans son espace professionnel.

S’il doit y avoir une attention à la situation des salariés, elle devrait en conséquence être largement première par rapport à celle du client. C’est ce que nous a dit très justement un PDG indien Vineet Nayar dans un livre remarquable («Les employés d’abord, les clients ensuite », paru en 2011 aux éditions Diateino, livre préfacé par Bertrand Collomb). Plutôt que de le précariser toujours plus, plutôt que d’en faire un valet du client, une dynamique vertueuse y compris pour le client naît au contraire d’une valorisation de ce premier créateur de valeur qu’est le salarié. Dire cela va à l’encontre de ce que nous délivre depuis des décennies une certaine littérature managériale sous influence du marketing.

Il y a heureusement des entreprises et des dirigeants qui ne se laissent pas prendre au piège des fausses symétries client-salarié et qui savent que la nouvelle frontière des entreprises est en interne dans un puissant mouvement de revalorisation non pas de « l’ expérience salarié », mais de la contribution, pour ne pas dire du « don » que font les salariés à l’entreprise.