Salarié ambassadeur…oui mais de quoi?

 

Le dernier chic dans certains cercles de communicants est de parler d’ « employee advocacy ». Soyons simple, et rappelons qu’il s’agit de cette idée déjà ancienne de faire du salarié un ambassadeur de son entreprise ou, plus souvent maintenant, de la « marque ». Le digital et en particulier les réseaux sociaux redonnent une actualité à cette action de communication qui permet de croiser l’interne et l’externe. Une action qui peut se révéler puissante en apportant du crédit à la communication de l’entreprise. Pourquoi ? Avant tout parce qu’elle se fonde sur la fierté professionnelle des salariés et leur rapport à l’entreprise.

Mais cette démarche, qui peut être féconde, ne va pas toujours de soi comme semblent le penser certains dircoms pressés. Pour éviter les raccourcis trompeurs, rappelons quand même quelques vérités sur la place des salariés dans l’entreprise et leur engagement. Même si l’on projette aujourd’hui souvent la figure enchantée du salarié entrepreneur de lui-même évoluant dans une « entreprise libérée », il demeure un lien de subordination qui n’est pas qu’une vieille notion héritée du Code du travail. Il continue à fonder juridiquement les relations entre le salarié et son employeur. Par ailleurs, l’engagement des salariés dans l’entreprise n’est pas toujours ce qu’on dit. Les études témoignent d’un rapport complexe fait au moins autant de méfiance et d’inquiétude que d’attirance. Et puis, il y a une autre dimension qui tient à l’évolution du salarié au travail: son exigence de reconnaissance et sans doute aussi de justice. Elle conditionne une appartenance avec une dimension contractuelle de plus en plus marquée.

Tout ça ne rend pas impossible l’accord du salarié pour être ambassadeur de son entreprise, mais demande autre chose que des artifices pour créer une confiance suffisante. Et cette confiance est fondée sur la responsabilité sociale au sens plein. Qu’est-ce que fait concrètement l’entreprise pour reconnaître la place et le pouvoir de la partie prenante salariés? Le Rapport Notat-Sénart qui a nourri la récente loi Pacte insistait sur deux dimensions : la « raison d’être » de l’entreprise et la représentation des salariés dans les organes de gouvernance de l’entreprise. L’affirmation de la raison d’être de l’entreprise est importante car elle donne à tous, à commencer par les salariés, le cadre qui fonde l’engagement commun. Quant à la représentation des salariés dans la gouvernance, elle participe d’une implication et d’un certain rééquilibrage des pouvoirs dans l’entreprise.

Au fond, cette notion de salarié ambassadeur va beaucoup plus loin que le clic d’un salarié likant une opération marketing de son entreprise. Dans un excellent article[1], Jean-Marc Le Gall rappelait cette vérité historique : « Les ambassadeurs sont des acteurs reconnus et puissants, le contraire d’exécutants ou de représentants, même de haut niveau. » Selon lui, il ne faut pas sous-estimer la mission d’ambassadeur en la banalisant, ajoutant qu’ « il n’est pas anodin de demander à un salarié de se faire le promoteur de son entreprise. La question de son libre-arbitre, au-delà de son volontariat, est posée…Associer le salarié au-delà de son cœur de métier est d’autant plus attractif, légitime et convaincant qu’on lui reconnaît par ailleurs plus de pouvoir dans l’entreprise. »

             Si pour certains aujourd’hui le salarié ambassadeur, c’est ce qui reste de communication interne quand on la fond dans la communication de marque, convenons que l’affaire est autrement plus sérieuse. Elle touche au rapport des salariés à l’entreprise, à leur fierté d’appartenance, à leur capacité d’être les porteurs de son utilité sociale pour autant qu’ils sont les acteurs reconnus et influents de son présent et de son devenir. En tout cas, une affaire d’entreprise beaucoup plus que de marque.

 

[1] Jean-Marc Le Gall, « Les salariés ambassadeurs à l’épreuve de la démocratie d’entreprise », Les Cahiers de la communication interne, n°37, décembre 2015