Quand l’euphémisation du marketing RH montre ses limites

Fini les syndicats, on s’est mis à parler de « partenaires sociaux ». Fini les salariés, le mot « collaborateur » a pris la place. Révision lexicale encore quand, plutôt que de parler de situation de travail, on s’est mis à évoquer « l’expérience collaborateur ». Et puis, il y a eu « le collaborateur ambassadeur », dérivé de l’employee advocacy , la « marque employeur », sans oublier l’éphémère « chief happiness officer »

Tout un vocabulaire standard s’est ainsi répandu d’une entreprise à l’autre avec plus ou moins d’ampleur. En faisant la part de ce qui peut relever d’une évolution réelle des situations et des mots qui les traduisent, force est de constater avec le sociologue Pascal Ughetto[1] que le marketing RH a produit des expressions qui euphémisent la réalité sociale. Par leur standardisation, elles ont crée plus de distance que de proximité avec le travail et ses acteurs, même s’il y avait au départ une certaine volonté de mettre l’accent sur le social. Mais la réalité ne se laisse pas facilement enfermer, en tout cas pas longtemps, dans des mots qui ne lui correspondent pas ou mal.

On a ainsi rapidement perdu de vue dans la dernière période les « chief happiness officers », sans doute parce qu’ils ne répondaient pas à la gravité des crises que nous traversions et que leur offre était, pour le dire gentiment, décalée. De même est-il beaucoup moins question aujourd’hui des « collaborateurs ambassadeurs ». Olivier Cimelière en a finement analysé les raisons sur son Blog du communicant.[2]. Le mot ambassadeur a une force qui excédait sans doute l’intention des promoteurs de la démarche et supposait, à tout le moins, des marges de manœuvre qui n’étaient pas au rendez-vous pour les salariés.

Ce qu’ils ont vécu ces deux dernières années a sans doute mis en alerte les salariés sur le sens des mots, à mesure qu’ils éprouvaient, parfois durement, de réelles transformations dans leur travail. L’édulcoration, l’écart entre la promesse et le réel n’en étaient que plus mal perçus. Les crises ont fait croître les exigences, aussi bien des salariés en entreprise que des futurs salariés. Dès lors, le marketing RH, tant interne qu’externe, pose la question plus large du lien de la fonction RH mais aussi des communicants internes avec le travail, les collectifs, l’organisation concrète des métiers. Un vocabulaire désajusté de ces différents points de vue produit, surtout en ce moment, des effets contraires à ceux recherchés. C’est particulièrement vrai dans les secteurs qui recrutent ou dans les entreprises confrontées à des reconfigurations des temps, des lieux et de l’action professionnelle. 

Que le marketing RH joue son rôle est souhaitable, mais dans des termes qui ont un sens concret, fondé sur une dimension sociale et professionnelle factuelle et opposable. En même temps qu’un positionnement plus près du terrain, les RH et les communicants ont un vrai chantier devant eux : celui des mots pour dire le professionnel d’aujourd’hui sans chercher ni à l’édulcorer, ni à l’enchanter. 


1] Intervention lors du séminaire de l’Observatoire des cadres et du management, « Fonction RH Saisir le moment de la métamorphose » 6 septembre 2022

[2] Blog du communicant, Communication & Marque employeur : Les programmes « Employee Advocacy » ont-ils encore un intérêt ? 6 octobre 2022