Cela fait plus de trente ans que la communication interne s’est structurée en entreprise et dans les organisations publiques. L’Association française de communication interne (Afci) est née en 1989, la même année d’ailleurs que Communication publique. En revenant sur toutes ces années, un maître-mot émerge comme une sorte de fil rouge: le changement.
La fonction communication naît dans les années 1980 parce qu’on change d’époque après les Trente Glorieuses et que la nature des changements exige une nouvelle image et un nouveau récit. Dès le départ, il est question d’« accompagner le changement ». Et tout au long des trois décennies, communication et changement vont aller de pair. Ce couple évident, trop évident parfois, mérite d’être questionné. De quoi parle t-on quand on parle de changement ? Et puis, quelle est la nature de l’apport de la communication? Enfin, qu’est-ce qui se joue en termes de management et de communication ?
Un flux continu
Une fusion-acquisition dans le secteur énergétique, une fermeture d’hôpital, la transformation digitale des impôts, la délocalisation d’une filiale, un déménagement du siège d’un groupe international, un nouveau projet type « Ambition 2030 »… Dans tous les cas, le mot changement revient. Un peu paresseusement d’ailleurs. A bien y regarder, en fait de changement au singulier, on observe un enchaînement continu et accéléré de transformations multiples.
Il y a plus de quinze ans déjà, le sociologue Norbert Alter[1] caractérisait ce qui se passait par le terme de « mouvement ». Il voyait à l’œuvre non pas un changement marquant le passage d’un état stable « A » à un autre état stable « B », mais un flux permanent. « Ce flux devient la contrainte majeure du fonctionnement des entreprises, bien plus que le « changement », parce qu’elles ne disposent plus d’état stable: le moment de passage entre deux états devient la situation « normale » ». Nous sommes dans ce flux et ce passage. Signe que le changement n’est plus ce qu’il était, les entreprises et les organisations publiques utilisent le terme de « transformation ». Dorénavant, le changement, c’est tout le temps.
Ce que la communication fait au changement
La sortie des Trente Glorieuses se traduit par le développement de la concurrence, la libéralisation des marchés, la complexification des systèmes, la crise de légitimité de l’entreprise taylorienne et la modification des rapports sociaux. Mondialisation aidant, le mouvement s’accélère à partir des années 2000 sur fond de crises et d’innovations. Internet et les algorithmes jouent le rôle de grand transformateur. L’appropriation de la nouvelle donne avec toutes ses conséquences ne va pas de soi pour les salariés. Dans l’univers mouvant des organisations, il revient à la communication interne d’être à la fois traducteur, facilitateur et médiateur. A la fin des années 1990, les chercheures Nicole Giroux et Yvonne Giordano distinguent deux conceptions de la communication de changement[2].
Dans un cas, il s’agit de communiquer le changement. Un projet, une décision stratégique, une acquisition ou une restructuration : l’organisation communique afin d’informer, de faire comprendre, voire de mobiliser. Toute une ingénierie symbolique et pratique soutient une communication monologique et descendante. Que le changement soit dicté par les actionnaires, les dirigeants ou l’environnement, la communication en rend compte et l’accompagne. Un accompagnement qui s’apparente pour l’essentiel à la transmission. Largement dominante ces trente dernières années à travers messages, supports, campagnes et événements, cette communication informative ne manque pas d’atouts. Sa vocation est de donner le cap, d’éclairer la décision. La limite est que si l’on maîtrise l’émission, il en va autrement de la réception. Certains parlent de « résistance au changement » quand ça ne passe pas… Il y a loin, très loin parfois, entre la diffusion d’un message, la promotion d’un projet et son appropriation, pour ne pas parler d’adhésion. Affaire de culture d’entreprise, d’identité professionnelle ou de métier.
Dans l’autre cas, il s’agit de communiquer pour changer. Le changement a priori ne préexiste pas à la communication. C’est le fait de communiquer au sens d’échanger, dialoguer et pas seulement informer qui contribue à produire du changement. La dynamique est dans la co-construction. L’appropriation tient à l’implication des acteurs. Cette approche a les atouts du dialogue. La limite est qu’il n’est pas exempt de difficultés, entre autres du fait des positions asymétriques des acteurs en entreprise, des problèmes d’écoute ou de prise en compte de la logique de l’autre. On a pu le vérifier avec les multiples déclinaisons du participatif. Cosmétique parfois ou alors plus en prise avec les métiers, la participation directe des salariés ne va pas de soi quand domine le command and control. Le dialogue n’est pas un long fleuve tranquille dans un monde qui privilégie l’urgence et la décision.
Alors, approche verticale, approche horizontale ? La communication au sein des organisations a largement privilégié la première depuis trente ans par delà la sophistication des dispositifs. Aujourd’hui, un nouvel équilibre est nécessaire pour des raisons à la fois culturelles et de performance. L’information, la diffusion des « contenus » ne dispensent pas du besoin d’interagir. Plus ça change, plus l’échange et le dialogue aident à l’appropriation des enjeux et permettent que ça fasse sens pour chacun. Les possibilités et les outils du dialogue, y compris numérique, abondent. Seule la volonté fait encore trop souvent défaut. « Dialoguer, ça prend du temps » ou alors « ça complique les choses »…Mais, la réalité est têtue: comme « on ne change pas une société par décret » disait Michel Crozier, il ne suffit plus de décréter le changement dans les organisations. La vitesse et le caractère cumulatif des transformations appellent des formes de communication interactive et pas seulement informative. C’est particulièrement vrai dans le travail.
Du neuf du côté de la communication managériale
C’est en proximité que se joue l’évolution sans doute la plus importante de la communication interne. Il s’agit de la communication managériale. Longtemps, cette communication via les managers n’a eu comme objet que de relayer la parole des dirigeants. Une opération en cascade sous forme de démultiplication de kits, d’argumentaires ou d’éléments de langage. La représentation de la communication était pauvre tant pour les managers de proximité que pour les salariés. Le manager n’est pas qu’un «relais» de communication.
C’est dans le dialogue, la discussion avec les salariés à propos du travail que se joue l’essentiel de la communication managériale. Des entreprises, des administrations remettent aujourd’hui plus de communication dans le travail et redonnent une perspective à la communication managériale. Pour être crédible et acceptée, celle-ci doit faire le pont entre l’opérationnel et le stratégique en mettant à jour, pour les résoudre, les difficultés – voire les conflits – liées à l’activité quotidienne des salariés. La communication interne se transforme par le bas en quelque sorte. Longtemps centré sur un changement qu’il s’agissait d’accompagner, le curseur évolue vers une communication plus en prise avec les transformations à partir d’un dialogue au coeur de l’activité. Dialogue en proximité avec les métiers, avec les équipes. Le plus important a trait à la question du sens. Il faut toujours qu’à un moment donné cela fasse sens pour soi dans l’activité.
Cet article est paru dans le n° de la revue Parole publique de mars 2019
[1] Norbert Alter, L’innovation ordinaire, PUF, 2000
[2] Nicole Giroux, Yvonne Giordano, “Les deux conceptions de la communication du changement”, Revue française de gestion, n° 198, 1998