Travailler et communiquer par gros temps

(Je reprends ici certains des éléments de mon intervention lors du Printemps de l’Association belge de communication interne, le 25 mars à Bruxelles. Merci à toute l’équipe de l’ABCi)

Pandémie, climat, retour de la guerre en Europe. Nous vivons des crises à bien des égards cumulatives. Elles charrient du chaos, de la sidération. Elles offrent aussi des opportunités. Des opportunités de faire face, mais surtout de faire autrement. C’est le cas en entreprise dans le champ du travail.

Du chaos dans le travail, il n’en manque pas par ces temps troublés. Pêle-mêle, l’accroissement des inégalités, les fortes polarisations de situation entre cadres et non cadres ou entre CDI et CDD, la perte de sens dans la succession des événements, le numérique qui souvent isole et éloigne, les espaces de travail déstructurés, le personnel et le professionnel chamboulés. Mais des opportunités, il n’en manque pas non plus. L’expérience inédite des crises oblige à repenser les activités, à apprendre collectivement, à recombiner le travail au quotidien. Il y a un réinvestissement de la scène du travail. On reparle d’organisation du travail. C’est aussi un moment réflexif qui interroge le sens du travail pour chacun. De nouveaux équilibres se font jour entre individu et collectif, entre autonomie et contrôle. Malgré l’éloignement ou à cause de lui, la proximité revient en force. La pluralité des crises sanitaires, environnementales, internationales met le travail à l’épreuve. Nous sommes au cœur d’une tension qui a aussi toutes les allures d’une nouvelle construction. 

En quoi la communication en entreprise est-elle concernée par la transformation en cours? Qu’est-ce qui change dans les pratiques de communication interne ? C’est autour du social, du travail et de la proximité que d’importants déplacements s’opèrent en ce moment. Avec des impacts sur l’information notamment.

 Le social

Il y a chez les communicants, sans doute plus forte qu’avant, la perception que l’entreprise est avant tout un système social. Elle se crée et se transforme avec celles et ceux qui la composent. Le fait d’avoir eu à faire face à un manque de présence ou à des situations critiques a remis l’accent sur les liens, les interactions, les coopérations. Et cela, jusqu’au plus fin des organisations. Comment faire équipe à distance ? Comment tenir en mode dégradé ? Comment garder de l’informel dans les relations ? Une attention au social, voire au micro-social est intervenue qui renvoie aux bases de la communication, non pas dans un sens de repli, mais de compréhension et d’action. Une communication interne loin du social n’a guère d’avenir.

 Le travail

Les crises accélèrent les transformations (télétravail, nouvelles organisations…) qui se traduisent en entreprise par un recadrage des lieux, des temps et des actions. Un des effets directs est le besoin pour chacun de « relocaliser » son travail. Encore faut-il pouvoir en parler individuellement et collectivement. Une donnée émerge pour les communicants : travailler c’est communiquer. « On ne peut plus travailler sans communiquer ». La place de la parole, de l’échange, de l’interaction donne à voir la part croissante de la communication dans l’activité. Pour les communicants internes, c’est un champ d’intervention de toute première importance. Même s’ils ne sont pas les acteurs directs de cette communication de travail, ils peuvent en être des facilitateurs comme ils peuvent contribuer à mettre en visibilité le travail réel. Les deux dimensions feront de  plus en plus partie de l’éco-système de la communication interne.

La proximité

La distance que l’on a connue avec le télétravail notamment repose la question de la proximité en termes nouveaux. Plus nous nous éloignons, plus nous avons besoin d’être proches en somme, même si les formes de la proximité évoluent. La crise sanitaire a mis en évidence le rôle-clé des managers de proximité. Dans certaines situations, ce sont eux qui ont fait « tenir la baraque ». L’alliance des managers et des communicants internes n’est pas toujours aisée. Il y a souvent une méconnaissance du rôle exact de chacun. Mais cette alliance, au travers de la communication managériale, devient une nécessité dans une nouvelle géographie de la proximité en entreprise..

Le fait de mettre ainsi l’accent sur le social, le travail et la proximité amène à revenir sur une des dimensions premières du métier : l’information. Une certaine conception du métier le limite à la fourniture de contenus. Avec les phénomènes qu’on connaît bien d’infobésité et de profusion. Les crises sont l’occasion de produire de l’information, parfois sur un mode continu, mais on a besoin d’une information utile, d’une information sur l’essentiel et beaucoup moins d’une information promotionnelle ou de simple valorisation. D’où l’accent sur la qualité, la précision et aussi la sobriété de l’information, même et peut-être surtout quand on doit communiquer en permanence. Le chercheur Vincent Brulois a constaté de la part des communicants un effort de traduction, de décantation et de désintoxication, à rebours de la profusion et l’infobésité. La gravité des temps requiert une information plus qualifiée et plus adressée.

Tout cela dessine pour demain une communication interne à la fois plus près du travail qui se transforme et plus soucieuse de la qualité de l’information.

Illustration: tableau de Jean Dubuffet Thème II Non lieux