Communication en entreprise. Histoire(s) de métier

La communication dans l’entreprise vient de loin. Son histoire est faite notamment d’histoires de métier. Nous suivons ici sa trace avec les témoignages de plusieurs professionnels de la communication au cœur du métier toutes ces dernières années.

La communication dans l’entreprise a toujours existé, même si le terme n’apparaît que tardivement. Au XIXème et au début du XXème siècle, elle se manifeste a minima sous deux formes qui ont à voir avec le travail d’abord, avec l’information ensuite. 

Premières traces

Dans le travail, on transmet des ordres, des consignes. Le contrôle et la discipline règnent sous la surveillance du contremaître. Pas ou peu d’échanges, y compris dans l’entreprise paternaliste. Avec le taylorisme, la discipline s’accroît encore, réduisant quasiment à néant la parole au travail. Séparation conception/ exécution, parcellisation des tâches, débit érigé en critère quasi exclusif… « Au niveau de l’ouvrier, les rapports établis entre les différents postes, les différentes fonctions, sont des rapports entre les choses et non entre les hommes », note la philosophe Simone Weil[1]. Résultat : un « degré zéro » de communication dans les ateliers et les bureaux. Parler, échanger, c’est « flâner », disent en substance Taylor et Ford. Pour se parler, les salariés investissent d’autres lieux (les couloirs, les vestiaires entre autres…). Cette communication clandestine prend souvent la forme d’une « contre-communication ». Puisque la communication directe est déniée, une forme de communication indirecte se développe en forçant la porte par l’intermédiaire de représentants, de délégués qui occupent la fonction de… porte-paroles. Le syndicalisme a des racines dans la communication, ne l’oublions pas.

Dès le début du XXème siècle, la question de l’information se pose. Dans quelques entreprises, naît ce qui deviendra le journal d’entreprise. En fait de journal, il s’agit plutôt de bulletin. On y retrouve sous forme de « carnet» les embauches, les mutations, les promotions, les départs en retraite… L’information concerne aussi les cérémonies, les fêtes, les événements. La mission d’information/renseignement reste très contrôlée. Pour l’anecdote, on la confie parfois à d’anciens militaires qui gèrent à la fois l’information et ce qui deviendra, par la suite, les Relations publiques.  J’aurai l’occasion d’en rencontrer à la fin des années 1970. Très pros, mais en même temps avec un certain sens du secret…

Les années 1980, l’irruption de la fonction communication

La fonction naît sous forme de services ou de directions il y a un peu plus de trente ans. Parmi les pionniers, EDF ou Saint-Gobain. Elle se déploie à l’externe et à l’interne. On sort des Trente Glorieuses sur fond de crise-mutation, mais aussi de développement économique, d’internationalisation des échanges. Les entreprises « communiquent ». Dans un univers de concurrence accrue, il faut se distinguer. La communication d’entreprise, à travers la publicité notamment, permet cette identification et cette distinction[2]. Les années 1980 resteront comme les « années pub». Publicité produits, publicité institutionnelle . Jean-Pierre Tiffon, aujourd’hui consultant, était alors communicant à Charbonnages de France. Il se rappelle que « les privatisations de 1986 seront un vrai tremplin de la communication institutionnelle. » La dimension symbolique joue à plein, non sans excès. La communication s’installe sur les fondamentaux de la publicité, de l’influence et de la réputation.

Sur le plan interne, les entreprises ont un défi: une image dégradée aux yeux des salariés. Le taylorisme a fait des dégâts. La perception est celle d’une entreprise lieu d’exploitation et d’aliénation. L’enjeu est redonner une autre image. Dans le travail, on fait appel à la participation des salariés. Comme une trainée de poudre, elle prendra la forme de groupes d’expression, de groupes de suggestions, de cercles de qualité… Le droit d’expression des salariés voit le jour avec les lois Auroux en 1982. 

Robert de Backer qui a eu la charge de la communication interne de Shell France de 1982 à 1994 se souvient : « Je suis venu à la communication par l’animation de groupes et de réunions participatives. Nous travaillions au projet d’entreprise. La communication s’est imposée comme un concept unificateur rassemblant la dynamique de groupe, l’information, les enquêtes d’opinion, les plans de communication. Le concept donne naissance ensuite à une véritable fonction avec méthodes et outils ad hoc ». Un autre communicant, Jean Rancoule, se rappelle de ces années-là. Il est à l’époque dans l’équipe de communication interne d’Essilor. Lui aussi est venu à la communication par le participatif: « On déployait le projet d’entreprise, on développait les cercles de qualité. J’ai vécu les débuts de la fonction, son autonomisation et son identification. On installait la communication interne avec des convictions et un certain enthousiasme ».

La fonction recourt à une variété de supports, d’enquêtes et de dispositifs pour redresser l’image et mettre en perspectives les changements. Les journaux d’entreprise se multiplient. L’événementiel devient un outil de communication à part entière. L’audiovisuel d’entreprise tient festival tous les ans à Biarritz. Jean-Pierre Tiffon retient les progrès des journaux d’entreprise. « On commence à faire des reportages, des portraits. Les articles sont signés. On découvre le traitement journalistique en lieu et place d’articles purement descriptifs et désincarnés ». La décennie se clôt avec la création de l’Afci en 1989. Jean Rancoule est de l’aventure : «Il s’agissait d’asseoir la fonction, de lui donner une légitimité et de sortir (déjà) de la problématique des outils pour centrer la communication sur la relation et le sens. »

Les années 1990, ça se complique et ça se professionnalise

Les années 1990 démarrent sous le signe de la crise. Une crise marquée par des fermetures d’entreprises, des délocalisations, des plans sociaux. En 1995, un conflit majeur secoue la France, notamment les entreprises publiques. Le côté  enchanté, voire paillettes  d’une certaine communication passe moins bien. Mutations du travail obligent, avec  réorganisations,  downsizing et normalisation. Une distance se manifeste vis-à-vis du discours de l’entreprise. Le contrat moral est en question, y compris chez les cadres (cf. le livre révélateur de François Dupuy La Fatigue des élites paru au Seuil ). Robert de Backer se souvient de la période : « Informer, faire comprendre et développer l’efficacité sont dorénavant les objectifs de la com’ qui devient communication de crise dans l’urgence, négligeant souvent la gestion au jour le jour de « relations humaines » satisfaisantes ». Jean-Pierre Tiffon qui a rejoint une agence de communication rencontre des dirigeants à la recherche de nouvelles réponses. « Ils cherchaient des voies pour dialoguer avec les salariés. Les dirigeants ne me parlaient que de « résistance au changement ». Certains souhaitaient à la fois contourner les syndicats et la hiérarchie de proximité. Les syndicats étaient débordés par des coordinations et les managers de proximité étaient jugés peu sûrs. »

Dans ce contexte compliqué, on assiste à une professionnalisation de la fonction, aussi bien du côté des agences que des communicants. La communication interne cherche à accroître sa crédibilité par plus de méthode et de rigueur. « Il fallait du métier pour gérer la complexité, rappelle Jean Rancoule, c’est-à-dire de la méthode, de l’organisation, de la programmation ». On « cible » mieux l’information en s’appuyant sur une dimension testimoniale. L’acquisition de savoir faire professionnels est réelle dans le rédactionnel comme dans l’événementiel. 

Symptomatique de ces années, le débat du rattachement de la fonction communication interne (Direction générale, Dircom ou DRH).  Jean Rancoule a connu un peu toutes les configurations, mais dans les années 1990 la communication interne d’Essilor est du côté RH. « La dimension sociale du changement rendait ce rattachement logique. Je participais au réseau des DRH et la communication interne était de plain pied sur le terrain social ». Robert de Backer que j’ai l’occasion de rencontrer au milieu des années 1990 à Entreprise et Personnel est lui aussi côté RH chez Shell. Il me rappelle un travail mené sur le stress. « On conduisait des enquêtes pour comprendre ce qui se passait. Notre rôle de communicant se situait au croisement de l’analyse d’opinion, de l’information, de la réunion des équipes, de la formation. »

Autre dimension qui émerge, la communication corporate. Elle vise une gestion globale de l’image de l’entreprise, aussi bien interne qu’externe. Patrick d’Humières et surtout Bernard Emsellem avec son excellent livre Le Capital corporate publié par TBWA jettent des ponts entre l’interne et l’externe en appréhendant l’entreprise comme un tout communicant. La communication corporate participe de la professionnalisation de la communication.

Les années 2000, au cœur des transformations

Des transformations de grande ampleur interviennent dans les entreprises. La mondialisation, la financiarisation et le développement du numérique entre autres bousculent la donne technologique, économique et sociale. Le travail change de paradigme dans un univers de services, avec de fortes conséquences pour la communication interne. Les stratégies des entreprises sont moins lisibles. Il est plus difficile d’en rendre compte. Quant aux discours, disons qu’ils ne sont plus crus sur paroles. Il n’est pas rare d’entendre : « c’est de la com’ », face à des messages et supports saturés d’ « éléments de langage » et de langue de bois. Pour Robert de Backer, « Il n’y a pas de communication sans réflexion critique. Et, reconnaissons-le, nous avons eu du mal à passer à une distance critique. Or, cela fait partie intégrante du métier. » L’ exercice de communiquer demande au professionnel à la fois de l’implication et du détachement. Pas simple, mais nécessaire pour être crédible.

            Et cela d’autant que l’entreprise, plus « ouverte » qu’hier, se retrouve interpellée par quantité d’acteurs qui y pénètrent (médias, politiques, justice, ONG…) ou qui y sont de fait (salariés, syndicats…). Ces « parties prenantes », pour reprendre les mots de la RSE, ne prennent pas pour argent comptant les modalités trop convenues de communication, avec des « contenus » contrôlés et  sur-validés. Il y a une attente de vérité. Avec Jean-Pierre Tiffon, nous nous rappelons des pratiques de débat et des « démarches interactives » que nous avons initiées avec les salariés du secteur de la distribution d’EDF. Bien sûr, il s’agissait d’accompagner les changements de l’entreprise et des métiers, mais en abordant les vrais sujets. « Avec ces démarches d’écoute et de dialogue, on sortait des procédures d’accompagnement classiques fondées sur le schéma simplificateur des alliés et des opposants. »

Autre donnée, le travail change. Il fait place à plus de coopération et de communication. « On ne peut plus travailler sans communiquer ». La dimension partagée de la communication s’appuie sur de nouvelles compétences des salariés. Jean Rancoule qui a rejoint Snecma en 2000 puis, plus tard, le groupe Safran insiste sur cette dimension : « Le communicant voit son métier évoluer. Il est de plus en plus dans la transmission de savoirs. Les outils sont partagés et la fonction communication aussi. Les salariés communiquent dans le travail, sur les réseaux sociaux internes. En apparence, il y a une certaine dépossession pour le communicant puisque son rôle est dans le partage. Mais dans les faits, il demeure essentiel dans une fonction d’expert, de conseil, de formation. » Jean Rancoule évoque la montée en puissance du numérique. Au fil des années, il a vu  se développer les intranets, puis les réseaux sociaux.  Au delà des outils, l’expertise du communicant est selon lui indiscutable. « Que ce soit en matière d’usage des techniques ou de contenu, le communicant interne a une fonction d’arbitrage, d’aiguillage et de tri pour garantir la qualité de l’information, la pertinence des messages  et  lutter contre l’infobésité. » 

Dans certaines entreprises, on en a parfois profité pour vider la communication interne de sa substance, au nom de la technologie ou de la supposée disparition des frontières entre interne et externe. La réduction de la communication à une plateforme éditoriale correspond souvent à une logique de réduction des coûts qui ne veut pas dire son nom. Mais, qu’on le veuille ou non, il demeure une spécificité des acteurs qui évoluent au sein de l’entreprise, qu’il s’agisse du management ou des salariés. Jean-Pierre Tiffon confirme : « Il y a toujours un lien assez spécial avec les salariés. En phase de transformation, il faut de la communication haut débit ». Et comme la transformation n’est pas près de ralentir le pas, on n’en a pas fini avec la communication dans l’entreprise, quelles que soient ses formes et ses modalités. » Pierre Labasse, directeur de la communication interne de Danone dans les années 1980-1990 rappelait ceci dans un remarquable livre L’intelligences des autres « Au lieu de considérer la communication comme un recours magique, les entreprises ont intérêt à la concevoir comme la capacité à parvenir aux meilleurs compromis possibles à partir de la confrontation des points de vue, à créer des équilibres optimaux avec les différents acteurs auxquels elles ont affaire » « Pour cela, point n’est besoin de gadgets sophistiqués, de techniques alambiquées. La voie est claire, à défaut d’être facile: respecter les autres, admettre qu’ils sont intelligents, s’efforcer de les comprendre et de se faire comprendre d’eux de manière à établir de véritables liens de partenariat. ». Plus que jamais d’actualité.

Et après…            

A partir d’expériences et de parcours différents, nos trois communicants partagent un constat. Parce que l’entreprise est compliquée, qu’elle va vite et qu’elle est violente, on a besoin d’une fonction intermédiaire, d’une fonction de médiation. Robert de Backer le dit en ces termes : « Je vois une violence parfois extrême qui imposera d’avoir une fonction de lien, de médiation. Pour moi, le communicant qui se tient « entre » a de l’avenir. » Jean Rancoule est convaincu de l’expertise du communicant : « Dans un contexte de communication partagée et distribuée, le communicant transmettra des savoirs, apprendra à communiquer et régulera des contenus surabondants ». Pour Jean-Pierre Tiffon, le communicant est « patron et garant du système interne quand tout le monde a tendance à se focaliser sur son domaine et ses contraintes. Avec l’individualisation, on a éludé le collectif.  Demain, on aura toujours besoin à la fois de régulation collective et de contact direct« . On a pu mesurer plusieurs de ces constats à l’épreuve des crises récentes, notamment la pandémie. Les communicants ont eu à faire valoir leur « utilité » dans des circonstances difficiles. Et cela, bien au-delà des « contenus », dans la relation et la médiation.

Cet article est paru dans une première version en 2017 dan la revue de l’Afci Les Cahiersde la communication interne

Illustration: Peinture de Gérard Schneider, 494, 1952


[1] Simone Weil, Conditions premières d’un travail non servile (1942), ed. de L’Herne, 2014

[2] Philippe Schwebig, Les communications de l’entreprise, MC Graw Hill, 1988

Faire parler le travail

Cet article est à paraître dans le n°500 de la revue Cadres CFDT en avril 2024. Merci à Laurent Tertrais de me permettre de le reproduire sur mon blog.

Le travail est de plus en plus affaire de communication. Et cela, pour au moins deux raisons. D’une part, on ne peut plus travailler aujourd’hui sans communiquer[1]. Communiquer entre pairs, entre services ou avec le client, que ce soit en direct ou en ligne. L’univers des services met le travail au centre de quantités d’échanges langagiers parlés ou écrits, à la différence de l’univers taylorien d’hier fondé sur une parole quasi absente dans le bruit de l’usine. Pour autant, les innombrables paroles échangées dans l’activité au quotidien ne signifient pas, loin de là, que les salariés d’aujourd’hui aient davantage droit à la parole au sujet de leur travail. D’autre part, les transformations considérables qui affectent le travail sont souvent mal connues. Elles se font dans une invisibilité qui met souvent les salariés en difficulté. Le déficit est du côté du récit de ce qui fait le travail, de la réalité des faits qui en sont le ressort. Dans un univers saturé de discours, le manque de récits du travail participe de sa déréalisation. Ces deux dimensions de parole et de récit méritent d’être revisitées.

Parler du travail

Il y a, disons-le, une tension, pour ne pas dire une certaine souffrance, à devoir beaucoup parler au travail sans avoir la parole sur son travail. Résoudre un problème en équipe, faire face à des aléas, répondre à un client exigeant, interagir en urgence, participer à des réunions en ligne et bien d’autres choses encore, tout cela requiert une activité de communication, pour ne pas dire une compétence qui fait désormais partie du quotidien de millions de salariés, de l’infirmière à l’opérateur commercial, du technicien clientèle à l’ingénieur, du livreur au cadre informatique. Là où il y a problème, c’est que cette compétence communicationnelle amplement sollicitée est le plus souvent déniée quand il s’agit de parler d’organisation du travail, de retour d’expérience, de solutions possibles pour mieux faire, faire autrement. On retrouve, encore et toujours, le vieux silence organisationnel, mais cette fois dans un monde professionnel où la communication est requise au cœur même de l’activité. Singulière tension que l’on n’arrive pas facilement à dépasser. Les pratiques et les espaces de « dialogue professionnel » sont rares, trop rares en entreprises ou dans les administrations. Les syndicats commencent à s’en saisir, sans doute encore trop timidement, certains craignant d’y perdre une part de leur rôle de « porte-parole ». Quelques dirigeants, souvent isolés, en ont conscience, mais avancent à pas comptés de peur sans doute d’avoir à partager ou à négocier les éléments contenus dans la boîte noire de l’organisation du travail. Alors, on continue de demander de parler au travail, mais sans parler du travail…

Raconter le travail

L’autre dimension concerne le récit. Il a ceci de particulier qu’il permet de s’appuyer sur des faits, de révéler des événements, des situations, des protagonistes. C’est une part du travail réel et du rôle des acteurs que l’on peut révéler, mettre au jour grâce au récit. Or, il fait défaut. Le manque de récit dans le travail et l’entreprise rejoint d’ailleurs un manque que l’on constate plus largement dans la société, dans le champ politique. Il y a beaucoup de discours et peu de récits. Les chaînes d’information, les réseaux sociaux sont encombrés par un flux permanent de discours, de commentaires, d’opinions. Géraldine Muhlmann dans un récent livre[2] attribue cette situation à un éloignement des faits. Quand seule l’opinion domine, on met les faits à distance, surtout les « faits inconfortables » dont parlait le sociologue Max Weber. Le récit, lui, ramène aux faits et quelque part au réel. Dans le cas du travail, la force du récit est de pouvoir mettre en avant ce qui ne se voit pas ou n’est pas connu. Dans le tertiaire notamment, c’est par le récit qu’on peut approcher des situations, des relations rendues invisibles. Le récit s’appuie sur l’enquête, l’entretien, la parole donnée aux acteurs. Il faut pouvoir sentir comment les choses se mettent en place, comment un métier se déploie, s’organise. Pas de récit sans enquête, sans attention aux faits, sans « passeurs du réel ». Le récit raconte ce qui peut être dit et fait dans un groupe ou un collectif. Il a une force de légitimation des acteurs, en l’occurrence des salariés quand il s’agit du travail.

 Mises en pratique

Quand les salariés parlent de leur travail, quand des récits révèlent les « mondes sociaux » du travail, c’est en fait le travail qui parle. Et c’est ce dont on a besoin dans le moment présent. Le mouvement sur les retraites a dit quelque chose de plus fort que toutes les études, tous les rapports : une réalité difficile du travail en France. Laurent Berger[3] en a tiré la conclusion du besoin, au-delà de la question des retraites, de se saisir du travail, de son organisation en faisant place en particulier à la parole des salariés sur ce qu’ils vivent. C’est heureux que ce soit un dirigeant syndical qui le dise aujourd’hui aussi nettement. Reste, et ce n’est pas le plus facile, à en négocier les modalités concrètes dans les entreprises. S’agissant du récit, de nouvelles pratiques voient le jour. C’est le cas avec « La Compagnie Pourquoi se lever le matin ! »[4] qui, depuis trois ans maintenant, met en mots des histoires de travail. Un projet qui donne le point de vue du travail, exprimé par ceux qui le font, dans les débats qui agitent la société: santé, alimentation, enseignement, transport, énergie … et bien d’autres encore. Autre déclinaison engagée cette année dans le cadre d’un métier, celui de communicant interne[5] : parole est donnée à des professionnels pour raconter leur travail au plus près et donner à voir une réalité souvent enfouie. Qu’il s’agisse de syndicalistes, de salariés, de managers ou d’associations, il y a besoin de « passeurs du réel » pour que cette parole sur le travail advienne car, comme le dit le sociologue Pascal Ughetto, « les salariés souffrent moins des exigences du travail que de ne pas pouvoir en parler » 

Illustration: Gérard Fromanger


[1] Michèle Lacoste, « Peut-on travailler sans communiquer ? », in Langage et travail Communication, cognition, action, CNRS Editions, 2000

[2] Géraldine Muhlmann, Pour les faits, Les Belles lettres, 2023

[3] Laurent Berger, Du mépris à la colère Essai sur la France au travail, Le Seuil, 2023

[4] https://pourquoiseleverlematin.org

[5] https://www.afci.asso.fr/publications/toutes-les-publications/le-recit-de-marine/