Deux événements récents ayant trait à la représentation des salariés et au syndicalisme méritent d’être rapprochés.
En octobre 2015 à Paris, des chauffeurs Uber ont manifesté devant le siège parisien de la société suite à la baisse de 20% des tarifs décrétée par l’application et se sont organisés à la suite en syndicat. En janvier 2016, l’association Dialogues a rendu public le baromètre TNS Sofres sur l’image du syndicalisme en France, d’où il ressort une nouvelle baisse de confiance dans les syndicats. 51% seulement des salariés leur font confiance pour défendre leurs intérêts (-2 pts). L’érosion va de pair avec une mise en cause de l’efficacité de l’action syndicale jugée trop autocentrée, trop politisée et, en fin de compte, pas assez ouverte sur les réalités des salariés.
La crise du syndicalisme n’est pas nouvelle. Beaucoup de choses ont été dites sur une crise qui rejoint celle d’autres structures ou institutions (Etat, partis, églises…) et qui, dans le cas du syndicalisme, se caractérise par un désajustement par rapport au réel du travail. Il en résulte une crise de l’offre syndicale face à une demande des salariés qui, pourtant, ne se dément pas qu’il s’agisse de sécurité ou de garanties. Par ailleurs, une certaine institutionnalisation du fait syndical à travers des relations sociales très codées l’a éloigné du vécu des salariés. Des dimensions plus sociologiques concernent un individualisme accru des salariés qui se reconnaîtraient mal dans la forme syndicale historique…
Tout cela est bien connu, mais on a un peu l’impression de tourner en rond en y faisant, encore et toujours, référence. Une dimension demeure curieusement sous-estimée : celle de la mutation du capitalisme et des conditions de la production. Elle est majeure et explique en particulier pourquoi la crise du syndicalisme n’est pas, loin de là, qu’un phénomène français. Tous les pays développés y sont confrontés d’une manière ou d’une autre, y compris l’Allemagne souvent prise pour modèle. Dans le passé, le syndicalisme s’est structuré sur une base de métier avant de devenir un syndicalisme d’industrie tenant compte en cela des mutations de la sphère productive. Le fond du problème est sans doute que nous manquons aujourd’hui d’une nouvelle forme de structuration du syndicalisme correspondant à l’économie de services et au processus de fragmentation et de dispersion qui l’accompagne. La flexibilité et l’instabilité caractérisant l’entreprise modulaire, dispersée et déterritorialisée mettent à mal la capacité du syndicalisme à produire du collectif, du « nous » quand les parcours professionnels sont de plus en plus accidentés et discontinus. Dans cet univers éclaté et souvent insaisissable, la tentation est forte de se replier sur les vieux bastions et le statutaire comme dernier rempart. Ce qui a toutes les allures d’un combat perdu ou en train de l’être.
La difficulté d’adaptation à cette nouvelle donne appelle de la part du syndicalisme une véritable refondation, comme il a su le faire à d’autres époques de l’histoire du capitalisme. C’est sa responsabilité fondamentale et cela ne viendra que de l’intérieur du mouvement syndical et du salariat lui-même. On peut toutefois réfléchir à quelques voies qui, ici ou là, émergent.
La socialisation se faisant désormais de multiples façons, on voit bien qu’Internet est en passe de devenir un média-société d’un nouveau type. Il permet de relier, et pas seulement virtuellement, par delà les dispersions spatiales et temporelles. On ne peut dès lors que s’étonner de la timidité du mouvement syndical en France à s’emparer de ce nouvel espace public et social susceptible de lui ouvrir de nouvelles frontières. Les salariés sont depuis longtemps sur les réseaux sociaux quand les dirigeants syndicaux s’en tiennent encore éloignés. Aux Etats-Unis, une bataille syndicale importante sur les accidents du travail a été gagnée, il y a quelques années déjà, en grande partie grâce à une mobilisation sur Internet. En clair, le syndicalisme a besoin d’un virage numérique. Sa fonction de veille, d’alerte et de revendication ne peut qu’y trouver un écho nouveau.
Autre voie prometteuse, celle qui réarticule démocratie représentative et démocratie participative. Le syndicalisme aurait tout intérêt à promouvoir et faciliter le développement d’espaces d’expression directe des salariés sur leur travail avec le management, sans craindre une quelconque concurrence de ce côté. Le dialogue social et le dialogue professionnel participent d’une même dynamique.
Il y a enfin une demande émanant tant des dirigeants que des salariés (mais pas tout à fait pour les mêmes raisons…) de rapprocher la négociation de l’entreprise. Déjà largement engagée, cette décentralisation de la négociation collective ne sera pas un jeu de dupes si les syndicats y trouvent le moyen de se renforcer pour peser et construire des compromis solides, en particulier là où ils ne sont pas dans les petites et moyennes entreprises.
L’adaptation, on l’aura compris, va de pair avec le mouvement. Le syndicalisme y est contraint parce que l’entreprise et la production changent, parce que les salariés changent et que leurs attentes, si elles sont toujours là, s’expriment en des termes différents et des formes nouvelles.