Transformation digitale: place à la parole et au dialogue social

Alors que le dialogue social connaît des jours sombres dans certaines grandes entreprises par manque de parole vraie et de dialogue digne de ce nom, il est une question qui pourrait bientôt ouvrir de nouveaux et prometteurs espaces d’échange, en l’occurrence le numérique. Le récent rapport remis fin septembre à la ministre du Travail par Bruno Mettling (DRH d’Orange) sur « la transformation numérique et la vie au travail » est, raisonnablement, porteur d’espoir. A la fois en termes de possibilités de diagnostic partagé et de co-construction du travail de demain. La question du digital va prendre une telle place qu’elle appelle une libération de la parole et une ouverture du dialogue sur l’évolution du travail. Ca nous concerne tous. Et les salariés dans leur vie privée ne sont pas les derniers à faire preuve d’une « maturité numérique ».

Tout indique que nous sommes dans une course de vitesse pour déployer le numérique dans les entreprises et que le travail et la condition de salarié s’en trouveront transformés, parfois assez profondément. Tout cela pourrait laisser augurer des lendemains difficiles dans les relations sociales. Mais le pire n’est peut-être pas certain. L’intérêt du rapport Mettling, dans sa méthode comme dans son contenu, est d’établir un diagnostic associant dès l’amont les organisations syndicales, non pour la forme mais sur le fond. On retiendra pour mémoire que la méthode de réflexion initiée par Bruno Mettling a germé au sein de l’association Dialogues qui réunit DRH et syndicalistes. Tout un symbole par les temps qui courent…

Dans la littérature déjà plus qu’abondante sur le numérique, c’est la première fois en tout cas qu’est traité sans détours le lien entre transformation digitale, fonctionnement de l’entreprise et relations sociales. Le rapport ne cède pas au consensus mou. Certes, il ne voit pas Uber partout…, mais ne cache pas ce qui monte dans la société et le travail. Il pose clairement, études et chiffres à l’appui, les termes sensibles du débat sur ce que transformation numérique veut dire s’agissant du rapport salarial, du cadre de travail, de la qualité de vie au travail ou de la fonction managériale. Il livre des propositions visant à déployer le numérique, offrir un cadre juridique protecteur, permettre les innovations dans le travail.

La transformation en cours crée des espaces nouveaux pour travailler autrement, sortir du travail prescrit, faciliter des liens et la transversalité. Elle est aussi porteuse de contraintes déjà perceptibles dans le rapport au temps et à la charge de travail. Il y a dans ce rapport quelques utiles réflexions et propositions pour sortir d’un débat très clivé sur le temps de travail en intégrant notamment la dimension de la charge de travail. Le rapporteur a par exemple retenu une réflexion et des propositions sur le droit/devoir de déconnexion des salariés. Et puis, il y a d’intéressants développements sur les compétences et la reconnaissance.

En lisant ce rapport, j’avais à l’esprit le beau livre de Philippe Bernoux « Mieux-être au travail : appropriation et reconnaissance » (Editions Octarès, 2015). Le sociologue y rappelle « le fait universel que les salariés ne peuvent correctement travailler que s’ils s’approprient les outils sur lesquels ils travaillent d’une part et s’ils se reconnaissent et sont reconnus dans leur manière d’exécuter le travail de l’autre ». Appropriation et reconnaissance, les deux termes sont plus que jamais d’actualité avec le digital.