Il faut voir comme on nous parle…

Le langage dit toujours beaucoup de ce qu’est l’identité de l’entreprise, de ses métiers, de son modèle. Or, aujourd’hui l’entreprise est saturée par tout un fatras de termes ou d’expressions venant le plus souvent de l’extérieur. Une sorte de catalogue importé du parler corporate avec, au hasard sur les étagères encombrées, les termes de « business model », de « branding », de « marque employeur », d’« employee advocacy », d’«expérience collaborateur »… quand ce n’est pas de « talent », de «bienveillance » ou même, il fallait oser, de « bonheur » avec l’apparition du désormais fameux «chief hapiness officer».

Tous ces mots, et bien d’autres encore plus ou moins anglicisés, font florès telle une novlangue qui traite de différents registres de l’entreprise, qu’il s’agisse de gestion, de marketing, de RH ou de communication. La caractéristique première est un nivellement du vocabulaire, de la start up au grand groupe du CAC 40. Ce lexique «tendance » uniformise et modélise à outrance. Il correspond à une vulgate entrepreneuriale. A la fois langage-écran, langue de bois ou de coton, sans oublier un petit côté prétentieux et cache-misère de certaines expressions.

L’entreprise a toujours fait l’objet d’une abondante création lexicale. Pensons au vocabulaire des métiers. Il y a un parler cheminot, un parler sidérurgiste, un parler électricien ou un parler distributeur, banquier ou assureur. Ces langages de métiers ont longtemps dominé. Non sans cloisonner ou limiter les communications transverses. Pour autant, ils étaient porteurs d’identité professionnelle et de reconnaissance des gens entre eux. La novlangue qui court actuellement est pauvre,  aseptisée et surtout loin du réel vécu par tout un chacun. Vocabulaire plaqué censé porter un modèle unique d’entreprise héritée pour partie de la corporate governance, son extériorité est frappante.

« Le langage a malheureusement été l’enfant oublié de la communication et c’est encore vrai aujourd’hui », notait récemment Jeanne Bordeau qui intervient en entreprise sur le langage avec notamment des chartes sémantiques. Les ravages de cette novlangue et l’usage persistant de la langue de bois sont une réalité incontestable. De nombreux professionnels sont en train de se rendre compte des dégâts. Pour certains, le vase a débordé avec le ridicule des « chief hapiness officers». D’autres, plus largement, voient bien que la langue de l’entreprise se dessèche avec toutes ces expressions trop marketées pour être honnêtes et qu’il est plus que temps de retrouver un parler simple, direct et fluide.

Loin des impostures, loin d’un vocabulaire infantilisant, on a besoin de parler une langue qui ressemble aux salariés et à l’entreprise. C’est affaire de respect et d’intelligence. C’est aussi le moyen d’aborder les transformations et les interactions à partir des identités et de la culture de  l’entreprise. L’Afci a consacré un numéro de sa revue Les Cahiers de la communication interne  à la langue de bois (http://www.afci.asso.fr/publications/toutes-les-publications/cahiers-de-communication-n40-langue-de-bois-vie/) et a organisé une rencontre sur le sujet. La revue Stratégies a publié un intéressant article sur le « parler biz-ounours » en entreprise. Deux exemples, parmi d’autres,  d’une prise de conscience des communicants qui ont un rôle unique pour faire le ménage dans ce fatras et retrouver toute la richesse de la langue dans sa diversité.