Le travail dans la crise: révéler avant d’accélérer

Les crises sont des révélateurs avant même d’être des accélérateurs. Le télétravail qui, jusque là, n’était que marginal s’installe dans le quotidien des entreprises. Les espaces de travail qui étaient en question dans le tertiaire deviennent un enjeu de première importance. Des arbitrages ont lieu en ce moment. Des décisions se prennent. Telle entreprise fait un choix radical de basculement en télétravail quasi total (quatre jours sur cinq). Telle autre, qui s’interrogeait encore hier, opte résolument pour le flex office dans ses bureaux au motif que les salariés sont deux jours par semaine en télétravail. Telle autre peaufine des modalités strictes de suivi et de contrôle des tâches et des performances à distance… 

Après un vécu de crise sur le mode à la fois de l’engagement collectif, des initiatives et d’une certaine autonomie des acteurs, vient déjà le temps de la rationalisation. Elle prend quelque fois des formes qui interrogent le futur de l’entreprise et du travail. Par delà les discours sur le collaboratif ou l’agilité, le parti pris dans chacun des cas évoqués est à la fois celui d’une individualisation et d’une anonynimisation du travail. Individualisation par un télétravail accru jusqu’à devenir dominant, anonymisation des lieux de travail avec le recours au flex office. Autant de réponses précipitées qui relèvent souvent de l’effet d’aubaine. Comme si la seule réponse était dans l’accélération d’orientations largement préexistantes, avant même de prendre la mesure de ce qui nous arrive.

On comprend certes l’ampleur des défis économiques quand après la crise sanitaire vient la crise économique et sociale. Pour autant la précipitation pourrait bien se révéler mauvaise conseillère à l’heure d’importants changements dans le travail qui, au demeurant, ne sont pas que numériques. Ces changements doivent-ils se situer dans la continuité -en un peu plus dur- des transformations menées ces dernières années ou faut-il tirer parti de l’expérience de la crise pour remettre le travail en perspective avec un besoin d’utilité sociale réaffirmée dans la société comme dans l’entreprise ? D’aucuns voudraient seulement accélérer le mouvement dans la suite d’hier quand d’autres sentent qu’il est peut-être temps de redonner une orientation nouvelle. 

La crise récente a livré au quotidien un condensé de contrastes, de tensions, d’inégalités aussi. Nous l’avons vu dans l’épreuve du travail distant contraint, dans la coupure entre salariés chez eux ou sur sites, dans l’organisation des « tâches » parfois plus que du travail. Tout cela a charrié beaucoup de difficultés pour les salariés comme pour le management et pour autant, des initiatives ont germé, de nouvelles pratiques ont vu le jour que les intéressés souhaitent aujourd’hui prolonger. Plutôt que des réponses gestionnaires hâtives, on a besoin de tirer des enseignements de l’expérience et cela, au plus près du travail réel.

Avant d’accélérer, il faut révéler. Révéler ce que chacun a vécu et vit encore dans cette crise. Revenir au travail réel quand les incertitudes s’accumulent n’est pas une perte de temps. Cela demande d’aller voir ce que les uns et les autres ont fait ou font, écouter ce qu’ils ont à dire, organiser des temps de parole sur le travail chamboulé par la crise. Pour les managers, pour les RH, pour les communicants, mais aussi pour les syndicats, il importe de comprendre ce qui s’est passé en mettant au jour le travail réel et les problèmes concrets. On a besoin de faire ce retour d’expérience et, comme le dit la sociologue Florence Osty, de « regarder les choses de plus près et au plus près ». Quand on est face à des crises majeures, les retours d’expérience sont de règle en entreprise. Il serait bon, avant que d’accélérer, de prendre le temps d’un retour d’expérience du travail.