La communication d’entreprise entre communauté et société

La distinction entre communauté et société abondamment analysée par la sociologie, et cela dès la fin du XIXème siècle (on se souvient des travaux de Ferdinand Tönnies et de Max Weber), est toujours à l’œuvre. Elle permet entre autres de comprendre comment l’entreprise et le travail évoluent. Elle demeure aussi essentielle pour percevoir les enjeux de la communication de l’entreprise.

La communauté renvoie traditionnellement à un sentiment d’appartenance et une adhésion quasi unanime à des valeurs substantielles. La société procède d’accords ou de compromis entre des intérêts distincts. Dans une certaine représentation de la modernité, la société a succédé à la communauté. A la communauté s’attachait une dimension d’unanimité. Quant à la société, elle était porteuse de diversité. Il est clair désormais que les choses sont plus compliquées. On voit se mêler de nouvelles façons d’appréhender une communauté (que l’on songe aux nouvelles communautés professionnelles ou à celles qui se forment et se déforment sur le net par exemple) et une société (dans un cadre mondialisé  et interculturel).

Hier, l’entreprise taylorienne ou fordiste empruntait encore beaucoup au modèle communautaire ancien, formant un ensemble autonome, homogène ou tendant à l’être. L’entreprise était une réalité économique et sociale unitaire, avec ses règles particulières, protégée au sens propre par les murs de la propriété. Aujourd’hui, dans une économie-monde largement financiarisée l’entreprise n’a plus la même configuration. Moins homogène, plus réticulaire, elle a étendu ses frontières, poussé ses murs, développé ses pouvoirs. Elle est de fait plus en prise qu’hier avec la société. Ce qui lui pose d’ailleurs des problèmes d’acceptabilité. L’entreprise cherche à asseoir sa légitimité dans un monde où ce qu’elle produit, l’impact de ses actions, les effets de ses « débordements » sont questionnés. En s’ouvrant, elle joue dans une cour plus grande, aux frontières du sociétal, aux limites du politique. Pour reprendre l’expression de Renaud Sainsaulieu, l’entreprise est devenue une « affaire de société ».

Hier, l’entreprise était façonnée par de fortes communautés. Celle que constituaient les métiers n’était pas la moindre. Une représentation communautaire s’imposait alors à travers des codes et aussi une certaine soumission à un ordre et des ordres qui ne se discutaient pas. Aujourd’hui, alors que l’on disait les communautés mourantes, celles-ci non seulement perdurent mais se transforment. Elles se développent souvent dans un nouveau cadre autour d’intérêts librement partagés et sur fond d’accords et d’ententes entre leurs membres. Internet, les réseaux sociaux font notamment apparaître, y compris sur le plan professionnel, des communautés qui ne sont pas que virtuelles et qui se fondent sur de nouveaux échanges entre participants.

Retenons de ces mouvements entre communauté et société quelques réflexions touchant à la communication. La montée « sociétale » de l’entreprise n’est pas sans effet sur la communication, mais ce qui frappe, c’est que la fonction communication -et c’est un des ses problèmes majeurs- reste encore trop façonnée par le modèle de l’ancienne entreprise communautaire. Les valeurs exprimées, l’image projetée, la recherche immodérée du consensus, la transmission unidirectionnelle, l’imposition des messages, tout cela emprunte beaucoup à une vieille conception communautaire de l’entreprise. Comme s’il s’agissait encore d’un monde clos, autosuffisant qui se met en scène comme un grand « tout », mais sans aller vraiment jusqu’à la relation avec l’autre, au dialogue, à la négociation qu’appellent justement les nouvelles dimensions sociétales de l’entreprise. La transformation qui s’est opérée pour l’entreprise requiert à la fois plus de dialogue et de confrontation. En lieu et place, on a toujours les mêmes images d’un monde supposé unanime et des discours consensuels comme s’il n’y avait ni tension, ni conflit, ni compromis. Hormis quelques expériences et initiatives intéressantes et prometteuses, le positionnement de la communication demeure à contre-courant de ce qu’est devenue l’entreprise et de ce qu’attendent ses différents « publics ». Le logiciel de base et le récit correspondent toujours à ceux de l’ancienne communauté avec ses figures classiques, alors que des pratiques interactives de plus en plus nombreuses dessinent déjà autre chose. Si l’enjeu de la communication d’entreprise se situe toujours entre communauté et société, il doit intégrer une vision renouvelée de ce qu’est une communauté, notamment dans le travail (avec des acteurs faisant valoir leurs intérêts par des démarches de dialogue professionnel, d’accords et d’entente) et une société (avec des dimensions interculturelles croissantes qui vont au-delà des anciens territoires).