Et si on se parlait de l’avenir des métiers

Quand on parle du travail au travail entre salariés ou avec le manager, c’est d’abord le quotidien dont il est question. Le quotidien des situations, des expériences, des problèmes. Le dialogue professionnel quand il existe, quand il se développe se nourrit avant tout du mouvement même du travail. « On a besoin de discussion au sens d’un processus au cœur de l’activité et qui conduit à la décision », me rappelait le chercheur Mathieu Detchessahar lors d’un entretien. Le fait de coller le plus possible à l’activité est une donnée de base de la communication dans le travail.

Mais en parlant du quotidien, on parle aussi de l’avenir. De l’avenir de son travail, de son propre avenir au travail. La parole au travail est toujours une projection, que ce soit en vue de bien faire ou de donner du sens à ce que l’on fait. Or, la préparation de l’avenir fait partie du travail, surtout dans une période où son évolution s’accélère. Avec le numérique notamment, avec le développement des plateformes, des reconfigurations majeures sont en cours qui laissent augurer des lendemains délicats, voire douloureux.

Devant de telles transformations, on peut comme tout récemment encore avec le groupe Carrefour procéder par l’annonce brutale de suppressions d’emplois. Et cela, sans véritable dialogue social préalable et sans échange avec les salariés en amont. « On n’a jamais connu ça dans le groupe Carrefour. Les salariés sont plus qu’inquiets. En ce moment, le dialogue social est compliqué. Concrètement, on ne parle pas avec nous. Il n’est pas tolérable de subir ce type d’annonces sans discuter« , souligne un délégué syndical. Cet exemple est loin d’être isolé. C’est même un classique des relations sociales à la française.

Quand on sait l’ampleur des restructurations à venir dans la grande distribution, dans le secteur bancaire, dans l’assurance et plus largement dans tous les services pour un ensemble de raisons qui ont à voir avec le numérique, l’intelligence artificielle et, au bout du compte, avec l’automatisation, le besoin n’a jamais été aussi grand de dialogue professionnel et social. Plutôt que de manier tantôt la langue de bois, tantôt l’annonce par décret, la préparation de l’avenir économique passe par la préparation d’un avenir social et professionnel. Sauf à jouer la politique de la terre brûlée, ça se discute au sens fort du terme et pas seulement avec les syndicats. Les salariés ne sont pas ignorants des changements qui se dessinent, ils savent parfaitement que leurs métiers vont évoluer. Ils sont non seulement capables de l’entendre, mais de s’y préparer à condition qu’on leur fasse crédit a minima d’une certain d’une intelligence professionnelle. Or, plutôt que de préparer l’avenir, dans bien des cas on contraint le présent en infantilisant les acteurs sociaux et les salariés à coup de communication éclair censée sidérer les parties prenantes.

Une grande entreprise de la distribution Leroy Merlin a fait le choix à travers une démarche appelée « Vision » de faire plancher tous ses salariés en 2015-2017 sur son avenir à dix ans. Exercice éminemment salutaire pour chacun que celui de se donner à voir, collectivement et dans l’échange, les scénarii d’avenir. « Nous avons fait Vision pour mettre en perspective la place de chacun et notre fonctionnement. Faire bouger la boîte au plus profond au moment où elle s’y attendait le moins car elle était en situation de succès, mais à un moment où elle en avait le plus besoin, au cœur d’une révolution sociétale. », indiquait récemment Thierry Bouret, directeur général de Leroy Merlin France. Au-delà des changements qui pourront bien entendu intervenir, le fait de se parler métier de cette façon prospective est en soi un gage de confiance et de maturité.