Nous manquons d’un récit positif pour nous projeter

Si la désinformation, les fake news, la réalité alternative occupent une telle place aujourd’hui, c’est que fondamentalement nous manquons d’un « récit positif » pour pouvoir nous projeter dans un avenir désirable. Le ressentiment et la frustration qui sont à l’origine d’une véritable désorientation de l’information viennent en grande partie d’un défaut d’avenir et d’une perte des finalités. Dans son dernier livre L’économie désirable (1), le sociologue Pierre Veltz appelle par exemple à une «réorientation » des priorités de la production avant tout en termes de santé, d’éducation, d’alimentation, de loisirs, de mobilité… Un monde vivable, respirable et durable est au prix d’une reconnexion avec ces fondamentaux et il est vraiment temps de le dire. 

C’est la finalité qui devrait l’emporter sur le moyen, le pourquoi sur le comment. Or, nos discours politiques, notre communication d’entreprise restent largement indexés sur les moyens. Il faut une réforme des retraites… il faut une transformation de l’organisation…il faut réduire le nombre de fonctionnaires… il faut travailler plus… Oui, mais pourquoi ? Pour quelle finalité ? Si elle est uniquement comptable et financière, on ne le dira pas ou alors de manière détournée. En l’occurrence, le discours sur les moyens cache souvent une finalité qui n’est pas dicible. Or, justement on a besoin plus que jamais de finalités dicibles dans un monde et un environnement fragiles, particulièrement après deux années de pandémie.

Le monde du fake n’a guère de mal à trouver son chemin dans cet univers de communication qui ne dit jamais complètement son nom. Qui habille plus qu’il ne propose, qui voile plus qu’il ne dévoile. La réorientation que Pierre Veltz appelle de ses vœux sur les fondamentaux de notre existence dans la crise écologique passe par un récit positif. Entendons-nous, récit positif ne veut pas dire positiver n’importe quelle orientation, réforme ou changement. C’est ce que certains attendent de la communication politique ou corporate. C’est en réalité ce qui nuit depuis longtemps déjà à sa crédibilité. Un récit positif, c’est à la fois une promesse et un contrat pour l’avenir. Dans notre histoire, il existe un grand récit fondateur et éminemment positif, celui du Conseil national de la Résistance. Certes, le moment était grave. Mais ne l’est-il pas d’une certaine façon aujourd’hui. Il était porté à la fois par un dessein et des forces contractantes. Si la situation politique présente est à ce point délétère, c’est que nous manquons tout à la fois de dessein collectif et de forces pour le porter.  

Ce besoin d’un récit positif est tout autant nécessaire en entreprise, alors que le travail est aujourd’hui bousculé et que les précarités augmentent. Là aussi, il faut pouvoir se projeter. Nous venons de vivre une période critique pour les individus, les collectifs, les entreprises. La «réorientation » est là aussi d’actualité. Encore faut-il accepter d’en parler, de donner des perspectives qui ne soient pas qu’une succession de contraintes plus ou moins cachées. Le récit positif en l’occurrence n’est pas de l’ordre du plan sur la comète ou des lendemains qui chantent, c’est la promesse en entreprise d’un monde commun soutenable. Pour faire face aux défis qui viennent, qu’ils soient climatiques ou sociaux, Pierre Veltz parle d’une économie « humano-centrée ». C’est la promesse d’un monde de relations au quotidien dans le travail pour éviter demain d’être étranger les uns aux autres. C’est la promesse aussi de productions et de services recentrées sur des besoins essentiels. Promesse toujours hypothétique, mais promesse nécessaire.

(1) L’économie désirable Sortir du monde thermo-fossile, Le Seuil, 2021

Illustration: tableau « Feuillée » de Gérard Titus Carmel