Contenu, stratégie de contenu… A en croire certains, le content serait le nouveau graal de la communication. Internet et les médias sociaux amèneraient à réactiver et, dans certains cas, à industrialiser la production et la diffusion de contenus. Face à la profusion des canaux et des supports, il faudrait produire encore et encore. Sous forte influence du marketing, la stratégie de contenu est supposée mettre de la cohérence et ajuster en fonction des publics la production des messages de l’entreprise tant à l’interne qu’à l’externe. Objectifs : une plus grande lisibilité sur les moteurs de recherche et un trafic accru sur les sites Web. L’engouement pour cette approche par les contenus mérite d’être remis en perspective et confronté au besoin fondamental de récit pour l’entreprise. Il doit aussi être questionné par rapport aux enjeux de communication et de délibération qui montent dans la société comme dans l’entreprise.
Au terme de contenu, qui est devenu une sorte de leitmotiv, on préfèrera largement celui de récit. Nicole d’Almeida commence son beau livre Les promesses de la communication[1] par une citation de Roland Barthes : « Il n’y a pas, il n’y a jamais eu nulle part aucun peuple sans récit ». De la même façon, il n’y a pas d’entreprise sans récit. Dans un univers d’action de plus en plus éclaté, le récit assure « la continuité des temps, la continuité des actions et la continuité des hommes » et, surtout, il propose « un sens vraisemblable et acceptable ». Nicole d’Almeida rappelle que l’entreprise est à la fois «récitée » par ses propres acteurs à travers leur engagement dans les métiers comme dans le service et « récitante » par les messages qu’elle initie en son sein ou dans l’espace public. Le travail des communicants intervient sur ces deux registres de récit. Travail important de mise en forme, de « mise en sens » qui porte sur le langage, la culture, la dimension symbolique autant que sur l’évènement. « L’important n’est pas d’occuper continûment la scène médiatique mais de la façonner, de la tenir à disposition pour y alterner présence et absence. » A trop vouloir jouer sur la dimension quantitative et quasi industrielle des contenus pour alimenter les machines numériques, on a tendance à perdre le fil du récit en le banalisant, un peu comme les chaînes d’info en continu font perdre le sens derrière l’événement permanent. La crédibilité n’en sort pas grandie, même si les professionnels peuvent afficher des résultats de diffusion et nourrir les KPI de la com’.
Au besoin de récit, plus que de contenu, vient s’ajouter un autre besoin, celui de la délibération. C’est de plus en plus vrai dans la société comme dans l’entreprise. Les conférences citoyennes sur le climat en sont un des derniers exemples. Les espaces de discussion sur le travail apparemment plus limités dans leur objet participent de ce que Mathieu Detchessahar nomme l’« entreprise délibérée ». Un fort courant dans la société et dans l’entreprise appelle en tout cas de nouvelles démarches délibératives faites d’intelligence collective, de participation, de subsidiarité. La communication y a toute sa part, pour autant que l’on veuille bien sortir de la seule logique diffusionniste. La communication a bel et bien à voir avec la délibération, c’est-à-dire avec la prise de parole des acteurs sur ce qui les concerne. L’entreprise communicante est faite tout à la fois de récit et de délibération, c’est-à-dire au fond d’un équilibre entre information et communication. Les communicants le savent bien dans le quotidien de leur métier.
[1] Nicole d’Almeida, Les promesses de la communication, PUF, 2001