A travers le bruit, la fureur parfois, le mouvement des Gilets jaunes est un puissant révélateur de ce qui est en train de se transformer. Il balaie beaucoup de choses sur son passage, renverse les codes et bouscule des représentations établies. Avec le risque d’une réelle dérive populiste. Mais il ouvre, qu’on le veuille ou non, de nouvelles questions sociales là où on ne les attendait pas tant les acteurs de notre société se sont éloignés les uns des autres.
Le premier point que je retiens a trait au pouvoir d’achat. C’est en dehors de l’entreprise que l’explosion s’est produite au sujet des taxes. A aucun moment, il n’a été question des salaires… Face à un pouvoir qui prenait volontairement en majesté toute la lumière depuis des mois, les « manifestants » ont fait feu sur le quartier général peut-être à bon droit à propos de l’injustice fiscale, mais en exonérant les entreprises de la situation salariale en France. Certes, l’Etat a quelque chose à voir avec le SMIC, mais il n’y a pas que le SMIC…Le Medef et quelques autres ont d’ailleurs fait profil bas, non sans un lâche soulagement. Quant aux syndicats, le logiciel de la plupart d’entre eux s’est affolé devant ce soulèvement hors des sentiers battus (et rebattus) des manifs. La CFDT seule a senti un peu mieux les choses, mais on voit encore mal la suite proprement sociale de ce mouvement déjà passé à des revendications institutionnelles et politiques qui cherchent à renverser la table. Il va pourtant falloir, et vite, reparler travail et salaire dans les entreprises.
Le second point a trait à la proximité. Ce mouvement révèle les abîmes qui nous séparent désormais dans la société. Conscients des coupures sociales qui s’accroissent, treize patrons de grands groupes appellent à une approche « inclusive » dans le Monde du 19 décembre. Preuve au moins que quelques dirigeants acceptent de sortir du bois en période de crise. Mais il faudra plus que des bonnes intentions ou des formules pour remettre du commun quand les inégalités atteignent les sommets que nous connaissons. La « sécession des riches » n’est pas qu’une expression démagogique. Elle est une réalité que la politique actuelle a remis en scène avec un système fiscal business friendly, comme on dit aujourd’hui, qui n’est pas pour rien dans ce que nous vivons. Comment remettre de la proximité quand dans un groupe l’écart des rémunérations va de 1 à 300 ?…
Toujours au sujet de la proximité, deux dirigeants tirent le signal d’alarme. Entre technocratie et digital, la proximité… s’éloigne. Christian Blanc ancien PDG de la RATP et d’Air France alerte dans un livre Nul ne peut se vanter de se passer des hommes (Hermann, 2018). La réalité, pourtant, c’est qu’il est devenu courant de s’en vanter pour des raisons économiques et financières. Bernard Lassus, ancien directeur du programme Linky (compteur électrique communicant) me confiait récemment son inquiétude au sujet du défaut croissant de proximité dans l’entreprise et dans la société. Défaut de proximité quand on supprime par exemple des niveaux de management au motif qu’une appli peut aisément remplacer un manager de proximité…Défaut de proximité quand on fait fi des besoins de communication au sein de l’entreprise au profit des discours désincarnés de marque.
Ca craque quand le sujet ne peut plus être soutenu par du «nous». La fragilisation, l’atomisation, l’éloignement produisent du chaos. Nous y sommes. Avec à la clé, la montée des périls populistes. A moins que… l’on sache retrouver ensemble de nouvelles possibilités de faire du commun.
Oui, les revendications institutionnelles et politiques actuelles traduisent le constat (ou sentiment) de subir les conséquences douloureuses de décisions prises par des élites, politiques ou économiques, coupées du « Nous » de la société et injustement épargnées des douleurs par les inégalités que vous soulignez.
Corriger les inégalités prendra du temps, mais faire à nouveau des décisions communes est atteignable rapidement. La revendication du RIC (Référendum d’Initiative Citoyenne), qui accapare la scène médiatique, mélange malheureusement le besoin légitime d’initiative et de validation des décisions par le « Nous » citoyens, et une modalité de fonctionnement par référendum, qui paradoxalement élimine les représentants élus par les majorités locales et aboutirait à la validation des décisions par les franges activistes et souvent minoritaires du « Nous », avec les périls que vous mentionnez.
Une autre approche est possible en repartant des fondements de la démocratie et de la formulation juste de l’article 6 des Droits de l’Homme afin de garantir l’acceptabilité des décisions prises démocratiquement par « Nous », c’est-à-dire 100% des citoyens, qui auront le droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à la décision.
Une telle approche et sa comparaison avec le RIC est décrite sous https://www.linkedin.com/pulse/lheure-de-la-concertation-d%C3%A9mocratique-pour-lavenir-france-jaquemet/
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Merci pour votre apport. On va devoir inventer du neuf en matière de représentation. Je vous rejoins sur les dangers du RIC.
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