Si la question du dialogue professionnel, c’est-à-dire de la parole des salariés sur leur travail, fait aujourd’hui l’objet à la fois d’intéressantes expérimentations en entreprise et de recherches prometteuses (cf. notamment le récent colloque de l’ANACT proposant de « rendre le travail parlant » ou celui de l’Afci en 2013), il faut convenir que les entreprises françaises et les acteurs sociaux n’ont jamais été très en pointe sur le sujet. Comme s’il y avait là un point dur du travail et des relations sociales.
Il importe de rappeler pourquoi, ne serait-ce que pour faire évoluer les représentations et les pratiques. En remontant dans le temps, on trouve une France industrielle et même tertiaire très marquée après guerre par le taylorisme dont une des particularités, et non des moindres, est le déni de toute participation directe du salarié et donc de la communication dans le travail. D’où pendant longtemps une faible imprégnation managériale en France des apports du courant des « relations humaines » venu des Etats Unis. A cela s’est ajouté le compromis fordiste entre Etat, patrons et syndicats qui s’est traduit par l’acceptation tout au long des Trente glorieuses de conditions de travail pénibles en échange d’évolutions régulières des rémunérations et de garanties sociales. Ce compromis est certes entré en crise après 68, mais il en est resté quelque chose en profondeur dans la répartition des rôles et des pouvoirs sur le travail.
On a vu par exemple au cours des années 70 la résonance très marginale dans les entreprises, malgré nombre de voyages d’études, des avancées du travail constatées en Norvège et en Suède (équipes semi-autonomes, Democracy at work). Le mouvement participatif des années 80 a certes connu une certaine flambée avec les groupes d’expression, les cercles de qualité, les groupes de progrès, mais outre que le mouvement s’est rapidement essoufflé, il n’a à vrai dire jamais été complètement connecté au travail réel. Par la suite, un « nouveau productivisme » s’est installé aussi bien dans le secteur industriel que tertiaire. Il a pris différentes formes et dénominations. Bien sûr, les besoins d’une dé-standardisation du travail après le taylorisme ont nécessité de faire une place aux compétences des salariés et à une certaine autonomie. Mais la réalité par exemple de la mise en place du lean dans de nombreux secteurs s’est traduite par une pression accrue, très faiblement compensée par la possibilité pour les salariés de dire leur mot sur la façon de bien faire le travail. On a même vu la réinvention pure et simple du bureau des méthodes pour concevoir une « transformation » qui, dans les faits, s’apparente à une re-taylorisation du travail.
Le pire n’est pas certain. Si des entreprises comme la Poste, Renault, Michelin ou le Crédit agricole s’engagent aujourd’hui dans une voie différente qui cherche à faire une certaine place à la parole des salariés sur leur travail, c’est qu’on est sans doute face à une réalité nouvelle. Outre les dimensions de qualité de vie au travail, ces entreprises mesurent surtout les limites d’un modèle productiviste qui crée plus de dommages dans le travail que de résultats et de performance. Il y aurait donc une nouvelle frontière de productivité à chercher avec le salarié dans le fait de « bien faire » son travail. Voilà un sujet à creuser tant par les managers, les RH, les communicants que par les chercheurs en sciences sociales. Sans oublier les syndicalistes qui, longtemps réservés sur cette question de la parole directe des salariés, s’y intéressent aujourd’hui. L’attitude récente de la CGT et de la CFDT laisse augurer des évolutions. Ces expériences, ces nouvelles pratiques sauront-elles venir à bout des résistances culturelles encore très présentes dans la hiérarchie des entreprises ?