Il y a quinze ans déjà, Norbert Alter dans son livre L’Innovation ordinaire (PUF, 2000) caractérisait les transformations dans les entreprises par le terme de mouvement plutôt que par celui de changement. Il voyait à l’oeuvre non pas un changement marquant le passage d’un état stable à un autre, mais un « flux de transformations jamais vraiment terminées ». En résonance avec cette idée de mouvement, l’association Entreprise et personnel (EP) vient de publier, sous la plume de Sandra Enlart, sa note d’orientation pour les années 2015-2019. Intitulée La transition permanente, elle révèle bien cet état de mouvement continu affectant aussi bien les individus, le travail et les entreprises. Une situation qui devrait encore s’accentuer dans les années qui viennent. « Nous faisons l’hypothèse d’un monde du travail plus ouvert, plus divers, plus imprévu et donc plus dur pour les personnes moins bien préparées à vivre ces transitions », écrit la directrice d’Entreprise et Personnel. Un des marqueurs de cette transition est la digitalisation des entreprises. La poussée du numérique est un puissant accélérateur de mouvements, à la fois symptôme et catalyseur des transitions à venir. La note d’EP est une bonne synthèse prospective de ce qui attend les individus au travail et bien au-delà (attention, charge cognitive, santé…), tant les sphères professionnelles et personnelles s’interpénètrent désormais. Les principales questions qui se posent pour demain sont en réalité déjà là. Dans un univers plus internationalisé, éclaté et dérégulé que jamais, comment permettre à l’individu de trouver sa place, de comprendre et d’apprendre, comment retisser des liens pour faire société, comment revaloriser le travail…. Au fond, plus le mouvement et la transition sont rapides, plus les transformations s’enchaînent, plus il faut de la proximité, de la relation, de la négociation et de la communication. Or, disons-le, on est allé très loin dans le sens inverse ces dernières années et singulièrement dans le monde RH. Processus, procédures, normalisation, distance ont façonné le quotidien des entreprises avec les conséquences que l’on sait. EP en appelle aujourd’hui à un « réseau d’interlocuteurs au service des personnes ». A défaut de cette proximité et sans négociation au plus près des situations et des réalités sociales, la transition permanente risque d’accroître encore les inégalités et de laisser beaucoup de monde sur le bord de la route.