Après l’engouement et le reflux, la régulation du télétravail

Sur une période d’une dizaine d’années, on aura tout entendu au sujet du télétravail. Longtemps, les entreprises ne l’ont pratiqué qu’à pas très comptés, avec une réserve tenant principalement au contrôle du travail et des salariés. En étant à distance, le télétravailleur n’était pas considéré comme un travailleur à part entière. Et puis, la pandémie est venue bousculer réserves et préventions. Dans le tertiaire en particulier, c’était même devenu la seule façon de travailler et d’assurer la continuité de service en phase de crise. Les entreprises ont engagé des négociations pour le mettre en place de façon étendue. Certaines en ont profité à la suite pour pousser à la réduction des mètres carrés et reconfigurer les espaces avec le flex office notamment.

         Un récent article paru dans Le Monde[1] fait aujourd’hui état d’un mouvement de reflux du télétravail ou tout au moins d’une moindre appétence des entreprises. Raisons invoquées : une baisse de productivité et un désengagement des salariés vis-à-vis du travail. Au point que de grandes entreprises veulent en revoir les conditions et en limiter les effets. Entre engouement et reflux, quelles leçons tirer de l’évolution récente du télétravail ? 

         La première est sans doute que le travail ne va pas sans présence. « Disons que travailler, c’est faire œuvre commune et que cela suppose un ensemble d’individus côte à côte », rappelle fort justement la sociologue Anca Boboc[2].  Les fantasmes de tout-distanciel qu’ont pu nourrir certaines entreprises ont vite vécu. Les salariés ont d’ailleurs été les premiers à retrouver goût à la présence. Mais dans le même temps, les opportunités du travail à distance, pour peu qu’il soit équilibré, sont apparues intéressantes à nombre d’entre eux.

         La seconde leçon est que le télétravail s’inscrit dans un champ plus large qui est celui de l’organisation du travail. Il est devenu une modalité de celle-ci, pas plus, pas moins. Mais on sait qu’en France l’organisation du travail demeure une grande boîte noire à laquelle il est difficile d’accéder. Là où il faudrait dialoguer et négocier, on passe de l’engouement au reflux sans que le diagnostic et les options aient été posés et discutés.

         La troisième leçon est sans doute que le télétravail doit entrer dans une phase de régulation après celles que nous venons de connaître. Une régulation sociale sous les trois dimensions mises en avant par le sociologue Jean-Daniel Reynaud. La régulation de contrôle bien sûr, dans une articulation avec l’organisation du travail au quotidien. Le télétravail ne peut être ni l’« open bar », ni la « zone interdite ». La régulation conjointe ensuite sous l’angle de la négociation sociale et du dialogue professionnel. Les syndicats ont su jouer un rôle important pendant la pandémie pour garantir l’activité. Ils ne peuvent être mis de côté dans la période de rééquilibrage. La régulation autonome enfin, car les salariés ont développé des formes d’autonomie avec le télétravail qu’on ne saurait évacuer sans autre forme de procès. De plus, on sait désormais que les possibilités de télétravailler font partie du bouquet professionnel attendu par nombre de candidats aux postes dans les entreprises.

         La façon dont on abordera le devenir du télétravail sera un bon indicateur de la maturité ou non de l’organisation du travail et des relations sociales dans l’entreprise.


[1] Anne Rodier, « Télétravail : la fin de l’« open bar », Le Monde 26 octobre 2023

[2] Anca Boboc, « Un télétravail de qualité se construit dans le prolongement des interactions en présentiel de qualité », M3, 2022
 

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