Le dialogue professionnel pour sortir du silence organisationnel

Le conflit sur les retraites a au moins permis de reparler du travail dans le débat public, et c’est une bonne chose. Mais est-ce qu’on parle suffisamment du travail au travail ? Rien n’est moins sûr. 

Les derniers mois ont servi de révélateur. Un révélateur puissant d’une réalité du travail bien plus complexe que les représentations convenues qui en sont données parfois. Les Français ne travailleraient pas assez versus le travail n’est qu’une accumulation de souffrances. Entre les deux poncifs, qu’en est-il du travail réel, des attentes des salariés, du sens qu’ils donnent au quotidien de ce qu’ils font dans les services, les ateliers, les bureaux, des tensions et des charges qu’ils vivent en voulant bien faire leur travail, de la place prise par le télétravail… ? 

Nous sommes face à un paradoxe d’une entreprise prônant la communication à tous les étages, mais qui, s’agissant du travail, entretient un lourd silence organisationnel. Or, ce silence pèse et il pèse d’autant plus après ce que nous avons vécu avec la pandémie. Les gammes déclinées autour de la « démission » des salariés ne sauraient cacher cette réalité. La parole au travail et dans le travail ne va pas de soi. Elle se trouve trop souvent empêchée. On manque de lieux, de temps et d’interlocuteurs pour se parler du travail en entreprise.

C’est que l’organisation du travail reste pour l’essentiel une boîte noire. Elle est une prérogative du seul management, là où elle devrait faire l’objet de négociations et de discussions. Négociations avec les syndicats, discussions au plus près de l’activité avec les salariés. Ces dernières années, des entreprises ont bien senti qu’il fallait bouger sur le plan du dialogue professionnel. Des dispositifs, des expérimentations, des pratiques nouvelles facilitées avec l’aide de chercheurs ou d’organismes publics (Mathieu Detchessahar, Yves Clot, l’Anact…) ont vu le jour. Mais tout cela, à une trop faible échelle. Et avec une crainte non dite de beaucoup de directions de ne pas garder la main, alors qu’il y a là un gisement de qualité du travail. 

A côté du champ de la négociation collective sur l’organisation du travail que les syndicats revendiquent désormais explicitement[1], le moment est sans doute venu de mettre en place un vrai dialogue professionnel avec les salariés sur le quotidien du travail. Faut-il légiférer sur ce point? Faut-il étendre des pratiques existantes (espaces de discussion sur le travail, groupes d’analyse de pratiques, groupes de co-développement, espaces d’échanges hérités du lean…) ? En tout cas, sortir du silence organisationnel est sans doute une des priorités à mettre à l’agenda social. Le travail et les travailleurs ont besoin de retrouver de la proximité, de la subsidiarité, du collectif, du soutien social et bien sûr du sens au travail. 

Le déficit de parole en entreprise traduit au fond un déficit de régulation du travail[2]. La seule régulation de contrôle, pour parler comme le sociologue Jean-Daniel Reynaud, ne suffit décidément plus. Or, on a remis ces dernières années du contrôle et de la procédure partout, mais ça ne tient pas. Il faut retrouver des espaces et des temps pour une régulation plus autonome et surtout plus conjointe. Mais pour cela, il faut se parler et s’en parler.

Illustration Titus Carmel Ramures Peinture n°1


[1] Laurent Berger, Du mépris à la colère Essai sur la France au travail, Le Seuil, 2023

[2] Martin Richer, La crise du travail est une crise de régulation, Management & RSE, mars 2023

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