Entre contenus et consentement, les défis de la communication en entreprise

Cet article reprend une intervention lors du Colloque « Consentir ? Pourquoi, comment et à quoi ?  » qui s’est tenu à l’ESCP le 9 juin 2022. Merci à Jean-Michel Saussois de me permettre de reprendre ici mon propos

La communication en entreprise tant sur le plan fonctionnel que sur le plan social est face à des problèmes de soutenabilité et de consentement. 

La fonction communication en entreprise vient, rappelons-le, d’une double matrice:

-Le modèle mathématique de l’Information à partir du schéma canonique Emetteur – Canal – Récepteur sur lequel s’appuient la transmission et la diffusion. L’essentiel est de transmettre des contenus, des données, des informations. On retrouve la forte empreinte de cette approche quantitative à travers ce qu’on appelle aujourd’hui la content factory, la multiplication des canaux appelant une profusion des contenus.

-Le modèle des Relations publiques, du marketing et de la publicité. Avec, dès le départ, un programme explicite formulé et promu par Edouard Bernays en ces termes: « Faire penser à des cibles ce qu’on veut qu’elles pensent afin qu’elles fassent ce qu’on veut qu’elles fassent». C’est la fameuse manufacture of consent de Walter Lippmann développée dans le temps selon des modalités très sophistiquées.

Ces modèles puissants du content et du consent ont été à la base de la communication de masse et de la consommation de masse. Ils ont irrigué tous les métiers de la communication, y compris la communication interne en entreprise. Avec un certain nombre de traits communs, à savoir une logique unidirectionnelle, un caractère descendant, une conception du récepteur considéré comme « apathique », une « fabrique du consentement » fondée sur une approche quantitative et diverses techniques de manipulation.

Modèles puissants, mais avec des désajustements de plus en plus marqués qui ont à voir avec leur soutenabilité et avec le consentement. C’est le cas pour la publicité fondée sur le couple imaginaire/obsolescence, notamment dans un contexte de transition climatique. C’est le cas s’agissant de la profusion des contenus, on l’a encore vu récemment en entreprise pendant la pandémie. C’est le cas avec le besoin de proximité qu’une communication massifiante et surplombante ne satisfait pas. C’est le cas enfin quand, à travers des réactions du type « c’est de la com ! », on indique la faiblesse du consentement qui s’y attache.

Pour faire face aux crises économiques, et cela pratiquement depuis 1929, la mobilisation des imaginaires, des désirs et des passions à travers la publicité est allée de pair avec l’obsolescence plus ou moins programmée des produits. Le couple imaginaire/obsolescence a contribué à la dynamique de la consommation et de la surconsommation. Avec la transition climatique, ce couple est bousculé. Le consentement à ce modèle est en recul. En témoignent plusieurs rapports récents sur la publicité et l’expression d’associations ou de courants de la société civile. Il y a une demande politique d’un autre logiciel de communication plus soutenable. Une tribune parue dans Le Monde fin mai évoquait un modèle « injuste et insoutenable » et appelait à une « régulation de la communication ». Quelques professionnels de la communication en agence ou en entreprise commencent à réorienter non seulement le contenu des messages, mais aussi à s’interroger sur la matrice elle-même.

Dans la période récente, et singulièrement depuis la crise sanitaire, nous avons suivi les communicants internes. Sous diverses formes, ils expriment le besoin de déplacer le curseur de la transmission vers la relation. Avec d’autres, notamment les managers de proximité, ils ont été des agents de liaison, des facilitateurs de liens en situation critique et pas seulement des transmetteurs de contenus. La place qu’ils ont su occuper les a rapprochés du travail. Et il est intéressant de voir comment cette question du travail en situation de crise, avec toutes les réorganisations en cours (travail à distance, travail hybride, nouveaux espaces de travail…), rétroagit sur la communication et sur l’information elle-même. Plusieurs communicants cherchent à faire évoluer la production d’information dans le sens d’une plus grande qualité en même temps que d’une plus grande sobriété. Comme si l’infobésité qui prévalait avec la content factory (profusion des canaux, profusion des contenus) ajoutait de la crise à la crise. Là aussi, il est question de soutenabilité et de consentement.

En resserrant encore un peu plus la focale, regardons ce qui se passe en matière de communication dans le travail. Là aussi des déplacements sont à l’œuvre qui ont à voir avec la soutenabilité et le consentement au travail. Lors d’une enquête menée dans le cadre de l’Association française de communication interne sur la Parole au travail, nous avons pu observer le développement de démarches locales, voire micro-locales de communication. Des Espaces de discussion, des Groupes d’analyse de pratique, des Espaces de co-développement pour les managers, des Briefs débriefs au quotidien…. 

D’origine ou de formes différentes, ces démarches convergent autour de quelques points:

-une parole qui cherche à se développer plus en proximité du travail réel ;

-une parole qui évoque les problèmes au quotidien là où ils se posent;

-des managers doublement concernés par cette parole au et sur le travail, à la fois dans le rapport à leurs équipes et en ce qui concerne leur propre travail;

-la place du dialogue, voire de la dispute dans le travail.

Ces pratiques de dialogue dans le travail prennent un sens particulier dans une période post-pandémie qui fait bouger les unités de temps, de lieu et d’action. En tenant compte de leurs limites (pérennité parfois problématique, instrumentalisation fréquente…), on est là malgré tout face à une logique inverse de celle fondée sur la seule transmission qui a occupé toute la place dans le management et la communication. On voit bien que la question de la soutenabilité et du consentement au travail est de plus en plus liée avec le fait de se mettre d’accord et avec le pouvoir d’agir sur le cours des choses.

François Bloch-Lainé, dans les années 1960, disait déjà ceci à propos de l’entreprise : « La contestation va de pair avec la participation. Elles se développent toutes les deux car la matière à discussion grandit. On s’explique au lieu de se contraindre. » S’expliquer et pas seulement expliquer est un enjeu de tout premier plan dans le management et dans la communication. Un enjeu directement en lien avec le consentement. C’est en tout cas une donnée à prendre en compte pour nombre d’entreprises qui peinent aujourd’hui à recruter ou à fidéliser.

Ces quelques remarques sur la relation entre communication et consentement en entreprise montrent, me semble-t-il, au moins deux choses :

-le caractère de moins en moins soutenable des modèles de communication et de management qui ne font pas place à « l’intelligence de l’autre »;

-le besoin, tant dans la société que dans l’entreprise, de s’expliquer.

La question de la communication et du consentement se joue au fond dans la capacité des « publics » d’être acteurs et non pas seulement récepteurs de ce qui vient d’en haut. Dans son débat avec Walter Lippmann, John Dewey disait toute l’importance de s’appuyer sur « l’intelligence collective des publics». Nous y sommes et c’est une tâche importante, de nature quasi démocratique, pour les professionnels de la communication que de s’en saisir.

Illustration

Gérard Titus Carmel n°11

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