L’ébranlement politique, avec toute l’intensité que nous connaissons aujourd’hui, ne peut bien sûr avoir que de multiples causes. Certaines viennent de loin, notamment celles qui prennent racines dans le travail, au quotidien des précarités, de la déconsidération ou de la relégation sociale. La question du pouvoir d’achat vient en tête des préoccupations déclarées, mais au fond c’est plus largement tout un ensemble de facteurs qui jouent quand on n’est pas à l’aise dans sa vie tant personnelle que professionnelle. Et ce qui fait le plus mal dans le contexte, c’est de ne pas pouvoir en parler dans l’espoir de changer les choses, ne serait-ce qu’un peu et, quand on tente d’une façon ou d’une autre d’en parler, de ne pas être écouté.
Les salariés se sont sentis niés, voire ringardisés quand ils ont cherché à prendre la parole hors des clous, sur les ronds-points ou lors de manifestations d’ampleur sur les retraites. Autant de répliques sociales qui pèsent lourd au présent. Il reste une amertume accumulée. Le sentiment que tout cela n’a servi à rien puisque la froide rationalité économique l’a emporté et que la caravane des « réformes » est finalement passée. Sans écoute. Sans négociation. Sans compromis.
Alors, vient un moment où cela « déborde » sur la scène politique. Nous y sommes. Si la démocratie politique souffre en ce moment au plus haut point, c’est entre autres parce que la démocratie sociale n’a pas eu d’espace réel pour traiter les sujets du travail. Que n’a-t-on entendu sur la pesanteur des corps intermédiaires. C’est au travail que pour une large part le ressentiment se cristallise, y compris sur les sujets d’immigration par exemple. Certes, les chiffres du chômage ont reculé, mais le « maltravail » lui n’a pas régressé, loin de là. Toutes les enquêtes sur les conditions de travail, notamment celles de la Dares, sont éclairantes. La France est un des pays européens parmi les plus mal placés quant à l’attention au salarié dans le travail.
Si c’est au travail que les dégâts ont été les plus manifestes, c’est au travail qu’il faut revenir pour recoudre la démocratie. Cette parole qui, dans les faits, a été refusée est plus nécessaire que jamais. Les entreprises ont manifestement manqué la période post-Covid qui a vu un changement dans les façons de travailler dans de nombreux secteurs. Il fallait pouvoir en parler. Cela n’a pas été fait. Il faut maintenant saisir la crise démocratique que nous vivons, quels que soient les votes de chacun, pour redonner sa place au dialogue social comme au dialogue professionnel en proximité sur l’organisation du travail.
Dans l’entreprise, on peut donner un tour très concret aux différends qui existent bel et bien, et cela sans violence, sans anathème, sans stigmatisation. Pour apaiser, il faut revenir aux vrais objets de la dispute dans la perspective de trouver des solutions, qu’il s’agisse du salaire, de la qualité du travail, des coopérations. Les entreprises doivent sortir du bois. Elles sont restées hors champ dans la campagne électorale comme si la crise à laquelle on assiste ne les concernait pas. Elles ne peuvent s’abstraire de la part sociale et économique du chantier qui vient quand le redressement de la démocratie est en jeu. Je pense notamment au rôle de premier plan que pourront jouer les managers, les RH, les communicants internes et, bien sûr, les syndicats indispensables corps intermédiaires pour fabriquer du compromis.