Malgré tout, l’espérance

Est-il encore temps, est-il encore possible de parler d’espérance ? La philosophe Corine Pelluchon nous y invite, plus que jamais peut-être. Dans un livre très personnel et sensible[1], elle nous dit au fond une seule chose :  c’est le moment. « Nous manquons non d’idéologie, mais d’espérance en cette période de risques majeurs liés au réchauffement climatique ainsi qu’aux crises économiques et géopolitiques ». Dans ces temps difficiles pour chacun comme pour la société, elle met en résonnance l’épreuve de la dépression qu’elle a connue avec le basculement climatique auquel nous assistons. « Il n’y a pas d’espérance sans l’expérience préalable d’une absence totale d’horizon qui est comme une nuit en plein jour et oblige les individus ainsi que les peuples à se défaire de leurs illusions ». L’espérance, tout à la fois la «traversée de l’impossible » et le « désespoir surmonté ».

L’espérance, on l’aura compris, n’est pas une notion comme une autre. C’est une notion forte, à la différence de l’optimisme qui est faible. C’est plus que l’espoir. L’espérance est profondément liée au tragique de la condition humaine. Tout nous y ramène aujourd’hui. Le risque d’effondrement climatique, la pandémie, la guerre toute proche, la montée des populismes et le rejet de la démocratie, l’oppression des femmes dans le monde, sans oublier un sujet cher à la philosophe la situation des animaux… Face à tout cela qui nourrit le désespoir, l’espérance agit comme un moyen de traverser l’épreuve, de réorienter le cours des choses et de concevoir, voire de générer un progrès. 

Ce qu’elle nous propose, ce n’est en rien un guide pratique de l’espérance, mais un principe d’action puissant à la fois individuel et collectif, d’autant plus puissant qu’il s’appuie sur « l’énergie qui reste quand il ne reste plus rien ». En lisant le livre, chacun trouvera des résonnances qui lui sont propres, personnelles ou collectives. Pour ma part, j’ai retrouvé à travers ces lignes la mémoire de mes parents confrontés à un double effondrement dans la guerre et qui, après celle-ci, ont découvert un passage et un ressort qui relèvent sans aucun doute de l’espérance. Quand tout est anéanti et que, malgré tout, la vie revient, là où elle reprend le monde est un peu plus fort. 

Ce livre qui explore lucidement notre capacité à trouver le rebond dans le noir est dans la suite des travaux de Corine Pelluchon sur l’éthique, l’éthique en particulier appliquée à l’environnement ou encore à la cause animale. Il y est toujours question de vulnérabilité et de reconstruction. L’espérance est manifestement ce qui les réunit. Sur ce point, sa réflexion va plus loin que celle qui sous-tend par exemple la notion de résilience qu’on évoque souvent. Il y a une dimension anthropologique qui va au-delà du thérapeutique. C’est toute la force de son propos que de montrer combien la confrontation à l’épreuve permet de concevoir et d’habiter le monde différemment. On ne saurait trop recommander ce livre à tous les écoanxieux (et il y en a…) et à toutes celles et ceux qui, dans leur vie et leur travail , ont connu la « traversée de l’impossible ».

Illustration: peinture de Fabienne Verdier


[1] Corine Pelluchon, L’espérance ou la traversée de l’impossible, Rivages, 2023