Qu’il s’agisse de management, de ressources humaines ou de communication, les transformations en cours dans l’entreprise ne peuvent plus faire abstraction d’une réalité : « ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant et ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant ». Cette « double impossibilité » qu’évoque le sociologue Christian Thuderoz[1], loin d’être bloquante, ouvre des espaces nouveaux en termes de pouvoirs et de rapports sociaux dans l’entreprise.
C’est du côté du management que le changement attendu est le plus marqué. Et il a à voir avec les évolutions du travail. Le « gouvernement du travail » se pose en termes nouveaux quand celui-ci ne peut plus être appréhendé sur le seul mode de la subordination. Elle existe certes juridiquement, mais elle est de moins en moins productive sur le plan du travail lui-même. Aujourd’hui, c’est le pouvoir d’agir des salariés sur leur travail qui fait pour une large part la qualité du travail. En clair, ils doivent être partie prenante des décisions et des arbitrages qui engagent leur travail. D’où l’importance des temps et des modalités de discussion sur le travail. Echanges et disputes sur la façon de faire et de bien faire son travail deviennent au fond aussi nécessaires que les objectifs stratégiques de l’entreprise. D’une certaine façon, ils sont même la condition de leur mise en oeuvre. Le dialogue professionnel n’est plus quelque chose de périphérique, une fois la décision prise, mais est en passe de devenir un puissant levier de transformation de l’entreprise, par le bas en quelque sorte.
Dans ce contexte, la « gestion de la ressource humaine » change. Elle était indexée pour une large part sur une politique du nombre. Elle est désormais requise beaucoup plus du côté du renforcement des capacités des acteurs à prendre des décisions individuelles et collectives sur leur travail (empowerment). Et cela, dans un monde qui, à la fois, requiert de plus en plus de marges de liberté et met en question les protections et sécurités des salariés. Le numérique illustre bien cette forte ambivalence qui demande de la part des RH, mais aussi des syndicats de trouver de nouvelles régulations et des équilibres entre autonomie croissante et sécurisation des parcours professionnels. C’est affaire de négociation sociale dans l’entreprise et au-delà, mais aussi de reconnaissance de nouveaux acteurs, ceux notamment qui travaillent pour les plateformes.
La « double impossibilité » qu’évoque Christian Thuderoz concerne enfin la « politique de communication » qui prévaut dans l’entreprise. Longtemps fondée sur la transmission des informations, des messages et aujourd’hui encore des « contenus », sa caractéristique première par delà les sophistications est d’être monologique. Pour l’essentiel unidirectionnel, ce registre va de pair avec une conception datée des pouvoirs dans l’entreprise. S’il y a bien un domaine qui demande un rééquilibrage entre gouvernants et gouvernés, c’est celui de la communication. Et cela, à la fois de façon symbolique et pratique. Sans doute pour des raisons de réputation, le lâcher prise en matière de communication reste une question délicate. Mais ne nous y trompons pas, les transformations du travail comme les aptitudes des salariés à intervenir et à décider font amplement bouger les lignes de la communication. Il ne suffit plus de transmettre, de diffuser et en définitive d’imposer. L’essentiel se joue ailleurs dans la relation, le partage du sens, la médiation. Là encore, un des enjeux les plus importants concerne le travail qui requiert plus de communication à travers la parole des salariés et les échanges au sein des équipes avec le management.
[1] Christian Thuderoz, L’âge de la négociation collective, Puf, 2019
Meilleurs vœux à toi. Le dernier article sur le livre de thuderoz est intéressant et me donne en ie de le lire Merci Gaby
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Tous mes voeux à toi également. Le livre de Thuderoz est en effet intéressant sur la place de la négociation collective. Mon propos s’appuie sur un des ses constats sur le rapport entre gouvernés et gouvernants dans les entreprises. J’en tire pour ma part quelques enseignements sur ce qui bouge en ce moment en matière de management, de RH et de communication. Ce dernier point m’intéresse tout particulièrement, notamment du point de vue de l’apport des sciences sociales. Je te signale à ce sujet la parution de mon livre « Communiquer en entreprise. Retrouver du sens grâce à la sociologie, la psychologie, l’histoire » paru chez Vuibert.
Amitiés,
Jean-Marie
tel 06 81 10 21 06
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